ABC IN SOUND, de Laszlo Moholy-Nagy (1933)

Laszlo Moholy-Nagy autre artiste du Bauhaus qui s’intéresse alors aux possibilités conjointes de la photographie, du photomontage et du cinéma a produit une description de l’orgue de lumière d’Alexander Laszlo [1] Il aurait lui aussi travaillé également à la confection de sons synthétiques et les utiliserait dans un film intitulé Tonende ABC (ABC of Sound), décrit comme une « expérience audiovisuelle ».[2] Dans un article de la Revue Musicale consacré au film sonore, Arthur Hoérée fait état d’un tel film sans en spécifier l’auteur ni la source :

« Enfin, on attribue à un savant allemand travail identique [sur les sons synthétiques], appliqué aux lettres de l’alphabet et à leurs combinaisons ; en sorte qu’il a pu créer de toute pièce une voix humaine qui n’existait pas ». [3] 

Annoncé comme un film disparu dans Les cloches d’Atlantis. j’ai plaisir dans ce site compagnon à pouvoir montrer une copie numérique de ce film qui refait surface alors que de nombreux chercheurs chercheurs qui se sont penchés sur ABC of Sound, Thomas Levin, Marcella Lista et Thomas Tode, l’avaient considéré comme soit disparu voire n’ait peut-être jamais existé. ABC of Sound a été projeté à la Société du Film en 1934 et contrairement à ce qui avait été imaginé ne constitue pas l’une des premières expériences auditives tentant de reproduire le graphisme des lettres de l’alphabet directement sur la piste optique, mais la transcription sonore de simples symboles graphique à l’instar d’Oskar Fischinger dans Ornemental Sound (1930) De manière symbolique ce film n’en constitue pas moins une manière d’annoncer dans son titre que cet alphabet jette les bases d’un nouveau langage sonore qu’il convient dès lors d’explorer et d’étendre.


[1] MOHOLY-NAGY, Laszlo, Painting, Photography, Film, MIT Press, Cambridge, 1969. p. 22.

[2] Curtis, David, Experimental Cinema a Fifty-year Evolution, London, Studio Vista, 1971, p. 30.

[3] HOERE, Arthur, Le travail du film sonore, op. cit. p. 73.

WAVELENGHT, Michaël Snow (1966-67)

Grâce à Wavelenght (1966-67), couronné lors du Grand Prix du Festival international du film expérimental de Knokke-le-Zoute en 1968, Michael Snow acquiert une véritable notoriété en tant que cinéaste. Les premières minutes de Wavelenght donnent à voir une pièce en plan d’ensemble, en légère plongée dans un atelier : au fond de la pièce un bureau et sa chaise, équipé d’une radio et d’un téléphone ; en face une autre chaise avec, au-dessus, quelques photos fixées au mur. Le mur est percé de deux grandes fenêtres qui donnent sur la rue. Le sol est recouvert d’un plancher,  au plafond, deux néons éclairent la pièce.

Deux hommes viennent déposer une étagère : le son est synchrone ; les bruits de la rue sont entendus en synchronisation. Nous sommes dans la réalité. Mais voici que quelque chose se passe : l’image bouge, progressivement, le cadre se resserre, nous nous approchons des fenêtres. Comme le dit Michael Snow, « un lent mouvement de zoom trace devant le spectateur son destin et le destin du film ». Le son synchrone est remplacé par un bourdonnement, une onde sinusoïdale qu’aucun rythme ne vient perturber, qui se déplace tout doucement vers l’aigu et recouvre dès lors tout le film. Une lente progression gravit les fréquences du spectre sonore de quatre mille à douze mille Hz.
Pendant que le zoom se resserre, la pièce traverse le jour puis la nuit. La temporalité est bouleversée ; plusieurs petites scènes distinctes ont lieu, dont un meurtre entendu hors champ ainsi que plusieurs déménagements. Ces saynètes ne sont pas reliées entre elles sur le plan narratif. Inlassablement le zoom se poursuit pendant plus de 40 minutes, traversant toute la pièce pour s’achever sur un plan resserré d’une photographie de vagues accrochée au mur entre les deux fenêtres à côté du portrait d’une Walking Woman.

Dans un entretien, Michael Snow a confié qu’il avait cherché à trouver un équivalent sonore au mouvement du zoom de la caméra. Au départ, il avait pensé jouer sur la dynamique du son et réaliser un crescendo en partant d’un son très ténu qui aboutisse à un son très fort. Mais la durée du film, quarante minutes, ne permettait pas de concrétiser cette idée. Il a alors l’idée de créer un son qui puisse franchir toutes les fréquences du spectre dans les limites de la bande passante de la piste optique. « Il y a comme un effet cosmique, qui apparaît dans cette idée, un peu comme le sujet du film qui questionne la réalité de la représentation cinématographique ». Michael Snow cherche à opposer la vérité de l’image et du son à la vérité de l’illusion sur l’écran. Le film dirige le spectateur vers cette question : « Si ce n’est pas une chambre que je vois sur l’écran alors qu’est-ce que c’est ? »

Entre cette fréquence sonore et la photographie des vagues, il s’effectue en premier lieu un rapprochement sémantique par l’entremise du mot Wave. Wavelenght signifie en effet autant « longueur d’onde » que littéralement « durée de vague », autrement dit le temps qu’il faut pour parvenir jusqu’aux vagues ou bien, plus métaphoriquement, l’unique mouvement de caméra qui se jette vers l’avant serait lui-même une vague qui déferle très longtemps. « Il y a également une force cosmique dans Wavelenght, quelque chose qui touche au temps à l’échelle humaine, mais également quelque chose qui le dépasse ». L’écoulement normal du temps est matérialisé par le son direct tandis que les dilatations temporelles ne sont signifiées que par la fréquence ascensionnelle. Dans Wavelenght, le trucage employé, donnant à voir un zoom régulier, n’est en fait qu’une succession de scènes filmées et d’instants photographiques reliés entre eux. Avec ce dispositif, Michael Snow cherche à toucher aux fondements même du septième art, en démontrant que le cinéma n’est pas autre chose que de la photographie, du son et du temps.

CINE CRIME, Maurice Blackburn (1968)

En 1968, Maurice Blackburn  produit et réalise son propre film Ciné-crime dont il est fait mention au générique que « les éléments visuels et la bande sonore de ce film sont les points de repère d’une histoire qui doit être complétée selon la fantaisie de votre imagination ».

L’image en noir et blanc à travers un jeu d’ombres et de lumières, est plus suggestive que figurative. Des fragments de gestes donnent à imaginer un voleur poursuivi par la police, rattrapé, jugé, jeté en prison, puis préparant son évasion. La bande sonore guide le spectateur dans la narration, plus que les images elles-mêmes, volontairement occultées par des effets de flous stylisés. Elle met en évidence l’approche électroacoustique de la musique de film de Maurice Blackburn dans laquelle tous les sons – aussi bien les paroles, les bruitages, que la musique elle-même – sont considérés comme des objets sonores.

Cette bande-son n’a donc plus uniquement une fonction de sonorisation, elle n’est plus appliquée comme un vernis sur un visuel terminé qui possède déjà tout son sens, mais elle acquiert un rôle actif, elle enrichit le film par ses propres moyens expressifs.

Véritable cinéma pour l’oreille, la musique de Ciné-crime démontre la conception d’une bande-son active au regard d’une image volontairement brouillée. Les manipulations sonores sont pour notre perception une réalité bien plus évidente que ce qu’il nous est donné de voir.

Ciné-crime par Maurice Blackburn, Office national du film du Canada

L’ANGE, de Patrick Bokanowski (1984)

La mise en scène de gestes anodins et primordiaux de la vie est présente dans les trois premiers films de Patrick Bokanowski, La femme qui se poudre (1972), Le déjeuner du matin (1979) et trouve son accomplissement dans L’ange (1984), accompagnés de cette obsession répétitive qui caractérise également la musique de Michèle Bokanowski. Avec des frottements de tôle répétés, joués à l’archet et transformés dans La femme qui se poudre, des fragments de quatuor à corde retravaillé et mis en boucle dans L’ange, Michèle Bokanowski s’accorde à prolonger véritablement la structure intrinsèque de l’image. A tous les niveaux, la transformation est érigée en principe fondateur. Avec le couple Bokanowski, le cinéma devient l’art de fabriquer un monde de l’imaginaire entièrement subjectif.
Michèle Bokanowski établit son vocabulaire sur la même base que les images : éléments concrets retravaillés (objets sonores ou instruments), mise en boucle, déphasage et multiplication créant une tension et à un paroxysme avant d’entrer dans une nouvelle séquence.
Si Patrick Bokanowski se passionne pour les gestes du quotidien, c’est plutôt ce qui se passe à l’intérieur des personnages, pendant qu’ils font ces gestes, qui motive Michèle Bokanowski. Elle parvient, ainsi, à matérialiser l’impossible état de tension auquel les personnages sont soumis, prisonniers de leurs gestes et de l’univers étouffant qui les environne.
Le plus souvent, la musique crée une distance avec l’image sauf à certains moments, où des synchronismes très marqués apparaissent furtivement, comme quelque chose qui tombe brutalement sur l’image et à laquelle on ne s’attend pas, créant une surprise totale renforçant cette temporalité déviée qui n’appartient qu’à l’instant.

ARNULF RAINER, de Peter Kubelka (1957)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

L’artiste Hermann Nitsch a dit d’Arnulf Rainer que ce film représente au cinéma ce que Carré blanc sur fond blanc de Malevitch représente à la peinture. En effet, Arnulf Rainer représente très certainement l’un des aspects les plus radicaux du cinéma expérimental ; le film est « probablement le plus proche de l’essence du cinéma parce qu’il emploie les éléments qui constituent le cinéma dans leur forme la plus extrême et la plus pure ».  nous dit Dominique Noguez. Le film, d’une durée de six minutes trente, ne présente que les quatre figures audiovisuelles les plus simples : l’image noire, l’image blanche, le silence, le bruit blanc et leur expansion dans le temps. Le tout est évidemment ordonné selon une construction structurelle qui tente d’épuiser tous les rapports susceptibles d’unir ces éléments.

 

PACIFIC 231, de Jean Mitry (1949)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

 

Bien que nettement plus formelle et moins poétique que la version de Mikhail Tsekanusky, la version de Jean Mitry de Pacific 231 n'en est pas moins un modèle qui puise son inspiration dans le cinéma d'avant garde des années 20 tel un vobrant hommage au cinéaste Abel Gance auquel Mitry vouait une véritable admiration.

PACIFIC 231, de Mikhail Tsekanusky (1931)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

Une grande partie de la création musicale des années 20 porte le sceau de l’ère industrielle y compris chez les compositeurs qui se défendent d’appartenir d’une quelconque manière au mouvement futuriste. C’est le cas d’Arthur Honegger à travers l’œuvre Pacific 231 tirée du film de La roue (1923) d’Abel Gance. Dès 1913, Claude Debussy exprimait déjà la nécessité d’une nouvelle musique en déclarant : « Notre devoir n’est-il pas de trouver la formule symphonique qu’exige notre époque, celle qu’appellent les progrès, les audaces et les victoires modernes. Le siècle des aéroplanes a droit à sa musique ».

Le titre de ce poème symphonique, véritable musique à programme, provient de la célèbre locomotive à vapeur la Pacific 231. Cette pièce tente une représentation musicale d'un voyage à bord de cette célèbre machine et puise son inspiration dans les divers bruits de la locomotive à travers les instruments de l'orchestre symphonique: grincements de ferraille et fuites de vapeur rendus par les glissandi aux violons, lourdeur du train au démarrage et le mouvement des bielles est figuré par les cuivres dans le grave, la répétition de motifs mélodico rythmiques s'inspire du mouvement perpétuel de la machine… Les différentes allures du trains sont également  représentés par le tempo variable dans des séquences distinctes en se calquent sur le modèle de plans cinématographiques. Honegger simule l'aspect de rotation et l'accélération du train grâce à des valeurs rythmiques en diminution qui en décompose le mouvement : croches, triolets, doubles-croches,  puis la décélération du train sur un modèle opposé.

Outre la version cinématographique de jean Mitry en 1951, il existe une autre version, très méconnue, réalisé par le cinéaste russe Mikhail Tsekanuski en 1931 mise au jour grâce aux travaux de Valérie Pozner, chercheuse au CNRS, dans le fond de la cinémathèque de Krasnogorsk. c'est cette version qui est proposée ici, de manière totalement inédite.

ORNAMENT SOUND de Oskar Fischinger (1931)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

Au même titre que Rudolf Pfenninger, Oskar Fischinger peut être considéré comme l’un des pères de la synthèse optique. Peintre à l’origine, il se convertit au cinéma dans les années 1920 et réalise une oeuvre centrée la musique visuelle,
Ses travaux sur le graphisme sonore aboutissent à un film de huit minutes, Tönende OrnamentOrnament Sound –  en 1932, dans lequel il tente de formaliser scientifiquement l’utilisation du son optique en se libérant par conséquent de tout modèle musical préexistant. C’est à ce niveau que surgit la grande différence entre l’approche de Pfenninger et celle de Fischinger où il se concentre sur l’idée de modélisation du son à des fins synesthésiques et Pfenninger travaille quant à lui à reproduire une musique pour accompagner les péripéties de personnages animés.
En déclarant faire une musique de lumière – Lichtmusik – dans Ornement Sound, Oskar Fischinger  parvient à modeler une foule d’éléments sonores et de paramètres qu’il baptise également sons stéréoscopiques. Pour couvrir l’étendue des possibilités offertes par la synthèse optique, Fischinger doit réaliser de nombreuses tables de conversion afin de déterminer les formes d’ondes capables de produire des timbres distincts, des rythmes prédéterminés, des nuances contrôlées. Il tente ainsi de définir de manière scientifique le rapport exact qui unit le graphisme sur piste optique avec les bases théoriques du solfège musical.

 Voir l’article de Philippe Langlois sur Oskar Fischinger sur le site de Pionniers et précurseurs

LE JABREBBOCK de Claude Place (1964)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

Le Jabrebbock est un personnage mythique qui introduit la confusion dans le langage, bouscule les syllabes et détruit la signification des phrases. Le texte de Lewis CAROLL est d’abord dicté à un élève qui s’applique sur son pupitre ; la dictée se termine par cet avertissement solennel : « mon fils, prends garde au jabrebbock ! ». – Alors le texte se déchaîne sur des images d’eaux, de particules de matière révulsées par un vent immatériel : tout un univers onirique où les images et les mots ne représentent plus mais évoquent, et qui se termine par « la mort de jabrebbock ! »

Ce film marque une nouvelle orientation du Service de la Recherche consistant à ne plus simplement diffuser à l’antenne les essais expérimentaux qui présentent le résultat de la recherche audiovisuelle fondamentale, mais d’inclure ces essais dans des formats de télévision plus conventionnels pour son public. D’où l’idée de matérialiser les élucubrations du Jabrebbock à partir d’un texte de Lewis CAROLL et d’une mystérieuse créature qui peut donner libre court à la création audiovisuelle.
La musique de Ivo MALEC est exclusivement instrumentale et révèle les penchants du compositeur pour la musique instrumentale dans laquelle il ne renie en rien son passé de musicien concret, bien au contraire même, en y intégrant des principes de montages, des alliages de timbre et des morphologie sonore directement hérités de la composition concrète.
Production : Service de la Recherche de l’ORTF, 1964
Musique de Ivo Malec

Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.

BALLET MECANIQUE de Fernand Léger et Dudley Murphy (1924)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

Ballet mécanique (1924), de Fernand Léger et Dudley Murphy s’inscrit dans la mouvance futuriste. Mais sa filiation artistique ne se dessine pas dans une seule voie et profite des influences cubiste, surréaliste, dadaïste et futuriste. Le Ballet mécanique se réclame en effet surtout de la tendance cubiste par sa tentative de collage cinématographique. Par ailleurs, ce film est considéré par l’auteur lui-même comme le « meilleur produit du cinéma dadaïste ». Enfin, la musique du film, véritable « machinerie géante en mouvement », mêle une orchestration proprement inouïe à une utilisation de bruits. La musique de George Antheil est conçue pour souligner la modernité du film, à travers l’emploi d’une formation instrumentale ahurissante. Les sources sonores ont des origines mécaniques et électriques : ainsi trouve-t-on un moteur et une hélice d’avion ainsi qu’une sirène électrique. Quant à l’orchestre, celui-ci est composé de quatre pianos mécaniques et d’un orchestre de chambre de quinze percussionnistes comprenant : timbales, Glockenspiel, deux xylophones, cloches, enclumes, etc.