SUR LES TRACES DU BRONTEION de Tanguy Clerc (2016)

Sur les traces du Bronteion est une installation audiovisuelle de Tanguy Clerc, imaginée et réalisée dans le cadre du projet de diplôme de l’ESBA TALM/ DNSEP/ Master design sonore en juin 2016.

Le Brontéion, plus connu sous le nom de « machine à tonnerre », désigne dans le théâtre antique grec, l’un des premiers dispositifs sonores utilisé à des fins dramaturgiques permettant d’imiter le bruit de la foudre.

Lorsque le spectateur pénètre dans l’espace d’exposition que Tanguy Clerc a conçu, il pense assister tout d’abord à une projection vidéo dans le plus pur style des symphonies mécaniques des années 20-30.  En effet, sur l’écran, dénué de présence humaine, des images de machines en plus ou moins gros plans nous plongent dans un monde entièrement mécanisé accompagné par un son parfaitement raccord. Les images ont été filmées dans les imprimeries Firmin Didot et Soregraph sans aucune présence humaine qui rappelle notamment le film de Jean Mitry Symphonie mécanique (1955).

L’installation consiste à rendre sonore une vidéo à l’origine muette via des objets mécaniques disposés directement dans l’espace de projection derrière l’écran. Tel un orchestre, ces mécanismes se déclenchent au gré du montage et des événements dans l’image pour constituer la bande son du film en intégralité.
Chacun des plans vidéo est ainsi sonorisé à la manière des bruiteurs, sauf que le bruitage est ici automatisé : une fois activée, l’installation ne nécessite plus d’intervention humaine, elle se trouve ainsi au croisement des mondes cinématographique, sonore et sculptural.
Les images projetées sont des plans plus ou moins figuratifs filmés dans des lieux de productions industrielles : le montage image est généré aléatoirement par un ordinateur : les boucles se succèdent ainsi toujours dans un ordre différent. L’ enchaînement aléatoire est accompagné d’une durée variable de chacune des boucles, aléatoire elle aussi (entre 7 et 30 secondes). Chaque vidéo est analysée en temps réel pour contrôler et dicter par voie électronique le comportement des moteurs à l’origine des sons qui provient des machines acoustiques.

Voir le site de Tanguy Clerc : http://www.tanguyclerc.com/

Sur les traces du Bronteion, ESBAM 02/06/2016 from tanguy clerc on Vimeo.

SCANNER, Céleste Boursier-Mougenot (2006)

Pour la première fois en 2015, un artiste sonore représentera la France lors de la biennale de Venise. Cela dit avant même de s'être forgé un nom dans le milieu des plasticiens sonores, Céleste Bousier-Mougenot s'était d'abord illustré, de 1984 à 1995, en tant que musicien et compositeur pour la troupe de l'auteur et metteur en scène Pascal Rambert, Side One Posthume Theâtre.

Son approche, est celle d'un artiste assumant totalement ses origines musicales, prolongeant depuis vingt ans une réflexion autour d'une musique générative, qu'il qualifie lui même de "vivante" à travers des dispositifs et des situations à même de produire une musique en perpétuelle évolution grâce à des installations sonores qui procèdent, le plus souvent, du détournement d'objets usuels. 

A l'instar de Pendulum Music (1968) de Steve Reich où le phénomène du balancement de microphones au dessus de haut-parleurs, génère des feedback périodiques, il met lui aussi à profit cet effet également appelé "larsen" que les musiciens cherchent d'ordinaire à éviter, dans une version prototype de son installation Scanner présentée en 2006 au FRAC Champagne-Ardenne, à Reims.

Propulsé par un ventilateur posé à même le sol, un ballon d'hélium équipé d'un microphone sans fil, explore l'espace du lieu d'exposition venant en permanence moduler des larsens produits par huit haut-parleurs répartis sur les murs tout autour. De la variation des larsens modulés par le déplacement du ballon, il résulte une musique de l'espace, indéterminée, en perpétuelle recomposition, musique de l'instant pouvant s'inscrire dans la lignée des œuvres de John Cage et d'Alvin Lucier initiés dans les années 60. En outre le son du feed-back est lui même analysé en temps réel, synthétisé et rediffusé en direct par un processeur audio faisant varier en permanence son pitch (hauteur) et son timbre en fonction de son amplitude (volume). A la permanence du son du ventilateur s'ajoute les apparitions fragiles de la modulation des feedback  qui apparaissent et traversent de long en large l'espace d'exposition.

On retrouve cette même recherche d'une musique spatiale instantanée et vivante, par exemple dans nombre de ses installations qui mettent en scène des oiseaux qu'il imagine entre 1995 à 2007 dans les différentes version de From Here to Ear, ou encore dans Relais (2012) pour ruche et microphone, Index (2009) qui traduit en notes sur un piano MIDI (Musical Instrument Digital Interface), la saisie de mots dans un logiciel de traitement de texte,  Variation (2009) reprenant le principe de Scanner, cette fois-ci non plus dans l'air mais d'ans l'eau où s'entrechoquent des éléments en céramiques amplifiés qui flottent dans des piscines puis rediffusés dans l'espace d'exposition ou, pour finir Harmonichaos pour aspirateurs et harmonicas, etc.

Prototype, technique mixte, dimensions au sol 8 x 8 m, 2006
Ballon en latex gonflé à l’hélium,
microphone sans fil, système de traitement et
de diffusion audio multicanal, ventilateur.

INSTALLATIONS SONORES, Zimoun (2005-2015)

157 moteurs, balles de coton, boîtes en carton : 60x20x20cm (2014)

Né en 1977, Zimoun est un artiste sonore contemporain suisse qui vit et travaille à Berne. Autodidacte, il est principalement connu pour concevoir des installations qui empruntent tout autant aux domaines du volume et de la sculpture qu'à celui de l'art sonore. Il y assemble des matériaux et des composants simples et fonctionnels, (cartons, boites, petits moteurs), des objets industriels banals, jouant sur leur profusion et leur multiplication.

L'accrochage géométrique quasi obsessionnel de ses installations exprime "une tension entre les modèles ordonnés du modernisme et les forces chaotiques de la vie" nous confie-t- il.

En partant d'objets de facture simple —un carton à l'intérieur duquel un petit moteur actionne une boule de coton qui vient doucement cogner sur ses parois— il parvient, en les multipliant parfois à plusieurs centaines d'unités, à doter ces objets sonores du quotidien d'une véritable vie organique où le bourdonnement acoustique des phénomènes naturels crépite, frétille, s'agite, s'anime, fourmille, jusqu'à emplir et "habiter" tout l'espace sonore des lieux où il installe ses constructions minimalistes.

Zimoun mène dans ses œuvres une exploration systématique du rythme mécanique démultiplié, en perpétuel renouvellement, recréant artificiellement la complexité d'organismes vivants improbables qui confèrent une profondeur émotionnelle et une dimension poétique à des objets d'ordinaire inertes.

Ses installations qui, le plus souvent, reposent sur des dispositifs mécaniques simples ne s'attachent pas seulement à révéler l'aspect invisible de la vie d'objets en mouvement, elles peuvent aussi bien rendre compte de son aspect non moins imperceptible telle, cette installation de 2009, qui présente une souche de bois, d'aspect ordinaire, dotée d'un microphone directionnel, qui trahi et amplifie l'activité destructrice des termites qui la dévorent avec un enthousiasme sonore non dissimulé.

25 termites, bois, microphone, sound system (2009)

Vidéo réalisée par Zimoun qui présente une sélection de ses installations créés ces dix dernières années.

 

Cliquez ici pour visiter le site de Zimoun.

PENDULUM MUSIC, Steve Reich (1968)

 

Pendulum Music est une pièce conçue pour 2, 3, 4 ou X microphones, amplificateurs, enceintes et exécutants.

Au milieu des années 60, a New York, les travaux d’artistes conceptuels tels que Sol Lewitt, Richard Serra,  Bruce Nauman et Michael Snow sont plus ou moins associés au courant du minimal art. Steve Reich représente, en quelque sorte, la figure musicale au sein de ce mouvement. Il expérimente alors à partir de l’agencement de dispositifs sonores électroacoustiques. A mi chemin entre l’installation sonore et la pièce musicale, Pendulum Music se situe donc dans la poursuite des travaux de Reich sur le déphasage de boucles de bande magnétique sur magnétophones comme, par exemple, dans Come Out (1966) ou It’s Gonna Rain (1967)

Pendulum Music fut présentée pour la première fois en 1969, lors d’une session d’été à l’Université du Colorado, intégré à un spectacle multimédia intitulé Over evident Falls en collaboration avec l’artiste peintre Bill Wiley. L’événement est relaté par Steve Reich comme « un Happening pensé à la va vite » dans une mise en scène où les spectateurs, assistent à l’événement au milieu d’une pluie de faux flocons de neige éclairée par des tubes de néon de lumière noire.
Une photo de la performance du 2 mai 1969 au Whitney Museum of American Art de New York, montre les artistes Richard Serra, James Tenney, Bruce Nauman et Michael Snow prêt à donner la première impulsion au  balancement des microphones.

Le principe sonore de la pièce est simple et repose sur le mouvement de balancement imprimé à des microphones suspendus au dessus d’enceintes provoquant un effet périodique de larsen.

Dans un lent processus de ralentissement, l’amplitude du balancement diminue, des effets de déphasage se produisent entre les différents microphones. La forme de la pièce se fond alors dans le lent processus qui est fonction de la durée des balancements des microphones jusqu’à la stabilisation au dessus des enceintes créant alors des effets de larsens continus. A la périodicité et au rythme du début de la pièce se substitue peu à peu des fréquences modulantes déplaçant l’écoute non plus sur le rythme mais sur le paramètre de la hauteur.

L’écoute se porte également sur le phénomène acoustique et les variations de plus en plus infimes de la structure du larsen lorsque les microphones oscillent lentement, proches de l’immobilisation. Pendulum Music s’inscrit aussi pleinement dans l’idée d’une œuvre poly-sensorielle se donnant autant à voir qu’à entendre, permettant à l’œil de percevoir les micro modulations de la matière sonore par le biais du mouvement de balancement des microphones.

La « partition » de l’œuvre, qui est en réalité un simple texte manuscrit de Reich, a été écrite en août 1968, et révisée en mai 1973 par le compositeur. Elle indique que les exécutants après avoir impulsé le premier mouvement au balancement des microphones doivent rejoindre l’assistance pour assister à son déroulement.

Voici deux versions de la pièce.

Reconstitution de la mythique pièce de Steve Reich à l’école des beaux Arts du Mans, le 21 novembre 2014 dans le cadre de mon cours : Histoire et théorie du sonore..
Interprètes : Pierre-Marie Blind, Léo Urriolabeitia, Koré Préaud, Tanguy Clerc, Arthur Chambry, Rémy Hertrich.

BOX WITH THE SOUND OF IT’S OWN MAKING, Robert Morris (1961)

Bois (24.8 x 24.8 x 24.8cm), haut parleur, durée 3h1/2.

Né en 1931, Robert Morris est considéré avec Donald Judd comme l'un des principaux théoriciens du minimalisme. Proche des compositeurs La Monte Young et John Cage, sa pièce Box with the Sound of its Own Making est à la fois un hommage au Ready Made de Marcel Duchamp tout en contribuant à développer l'idée d'une sculpture minimaliste dans le sillage du Process Art, rejetant toute approche romantique dans le processus de création artistique.
Robert Morris réalise cette œuvre en janvier 1961 à New York. La boîte est constituée de six pièces de bois reliées entre-elles pour former un cube parfait de 28 cm de côté.
Pendant les trois heures et demi que durent la construction de la boîte, Robert Morris procède à un enregistrement audio où sont prélevés l'intégralité des bruits de la construction : découpage à la scie, marteau, ponçage, déplacements de l'artiste dans son atelier, etc.
Dans son principe d'exposition, la boîte donne donc à entendre les sons de sa fabrication au spectateur grâce à un petit haut parleur situé à l'intérieur de la boîte qui permet de réactiver la création de l'œuvre en temps réel.
Dans le cercle artistique de Morris, la boîte est également perçue comme une forme de performance musicale. John Cage, visitant l'atelier de Morris considéra l'œuvre comme un concert privé, s'installant face à elle pour écouter l'intégralité de l'enregistrement.
Echappant à tout idée de classification artistique, Box with the Sound of its Own Making met en lumière les relations qui peuvent unir sculpture et musique, perception visuelle et acoustique, objet et processus créatif.

L'enregistrement ci-après est une simulation reconstitution réalisée par Kate Blacker.

BEETHOVEN TRUMPET (WITH EAR) op # 133 de John Baldessari (2007)

Résine, Fibre de verre, bronze, aluminium, et électronique
186 x 183 x 267 cm
Saatchi Gallery, Londres

"On m'avait demandé de faire une rétrospective en 2007 à Bonn avec toutes mes œuvres qui touchaient la musique. Bonn est la ville natale de Beethoven et j'ai visité sa maison. Il avait un cabinet tout entier de cornets acoustiques qu'il a utilisés. J'étais vraiment fasciné par eux comme des formes sculpturales, en particulier celui qu'il avait conçu lui-même que je trouvais très beau. Cela faisait peut-être quatre ou cinq ans que j'avais commencé à travailler sur des œuvres en lien avec les parties du corps notamment le nez et les oreilles, l'idée des oreilles étaient donc dans mon esprit. Et puis à l'un de ces moment où l'on est encore éveillé à trois heures du matin, tout à coup, j'ai pensé, 'attendez une minute – l'oreille / le cornet."

En se penchant dans l’instrument, et en claquant des doigts, le cornet se met à jouer du Beethoven.

MUSICALES de Vassilakis Takis (1977)

Haut-parleur, cordes de violon, archer, 250×100 cm

Centre Georges Pompidou, Paris.

Lorsque Vassilakis Takis rencontre Marcel Duchamp en 1961, ce dernier fréquente régulièrement John Cage et l’avant-garde musicale new-yorkaise qui gravite autour de lui. C’est alors qu’il intègre dans ses pièces non seulement l’usage de haut-parleurs mais aussi les nouvelles idées que colporte le musicien.
Marqué par la pensée Zen et la volonté d’évacuer de ses œuvres toute forme de message, de discours, John Cage compose, en 1952, son œuvre en trois mouvements, 4’33’’ de Silence, s’inspirant lui-même d’un triptyque de monochromes blancs réalisé peu avant par son ami Rauschenberg. En concevant ses Musicales, qui font correspondre surface monochrome et son monotone, Takis s’inscrit consciemment dans cette filiation d’idées.
Le seul son que diffuse cette œuvre n’impose, de fait, aucune mélodie. Le battement qu’elle fait retentir n’est pas exactement régulier. Le visiteur reste libre de respirer à son rythme.  
Suspendue à un câble, comme un fil à plomb d’architecte ou un pendule de médium, une baguette de métal se balance et vient inexorablement se cogner contre la corde de métal tendue, qui l’attire à elle dès que le courant la traverse. La corde est ainsi à la fois l’instrument de ce son et son propre instrumentiste.
Ces Musicales donnent ainsi à voir le son et à entendre les matériaux. Le son donne à entendre l’objet qui l’a produit, il est en quelque sorte son « âme déployée dans l’espace », pour reprendre les termes de Cage.

ORACLE de Robert Rauschenberg (1962-65)

Robert Rauschenberg (Port Arthur, Etats-Unis, 1925), ORACLE, 1962 – 1965.
Tôle galvanisée, eau et son.
236 x 450 x 400 cm.
Billy Klüver, ingénieur du son, a installé le système électro-mécanique.
Don de M. et Mme Pierre Schlumberger en 1976 au musée d'art moderne Georges Pompidou.
Baignoire avec douche (178 x 115 x 60 cm), escalier (149 x 140 cm), montant de fenêtre (158 x 236 x 47 cm), portière de voiture (160 x 133 x 85 cm), tuyau (143 x 116 x 73 cm).

Dans les années 1950, Rauschenberg développe une pratique fondée sur le collage d'objets divers empruntés à différents domaines de l'expérience et de la culture. Réalisée en collaboration avec Billy Klüver, Oracle est une sculpture en cinq éléments constitués d'un assemblage d'objets de récupération (portière de voiture, conduits de ventilation, fenêtre, baignoire avec douche, escalier) appartenant au monde de la technologie quotidienne, auxquels est intégré un système de radios captant diverses émissions du lieu où est présenté la pièce. les cinq éléments ont chacun une structure et un fonctionnement particuliers. proches de certaines sculpture de Tinguely, cet environnement de machiner vivant leur vie propre est plus tragique que ludique. présentée en 1965 à la galerie Léo Castelli (NYC), cette oeuvre était conçue comme une oeuvre interactive : les spectateurs se mouvaient à l'intérieur des éléments et pouvaient modifier les programmes radio. Chacun des éléments comportent une batterie, un post-récepteur et un haut-parleur.
Oracle est une sculpture interactive. Les récepteurs balayaient les longueurs d'onde des radios New-yorkaises ; télécommandé par le spectateur, un moteur permettait de passer selon une vitesse variable d'une longueur d'onde à une autre, comme pour prendre au piège les messages sonores d'une ville. Les bruits de la métropole moderne constituent ici un matériau sonore dont le public, armé d'une télécommande, pouvait faire varier la vitesse.
Chaque morceau mobile de sculpture contient un moteur. Ce moteur déplace sans interruption le cadran d'une radio sur la bande AM. Le visiteur peut commander la vitesse du moteur et le niveau sonore de la radio dans chaque partie de la sculpture en tournant les boutons.
Ce projet est le résultat de trois ans de collaboration entre Rauschenberg et Billy Klüver.
L'œuvre a été présentée pour la première fois à la galerie Leo Castelli en 1965 et à l'exposition « The machine as seen at the end of the mechanical age » (« La machines considérée à la fin de l'ère mécanique ») organisée pas Pontus Hulten au musée d'art moderne de la ville de New-York.
Ici, la sculpture est composée de l'utile hors d'usage.
Dans cette œuvre, Robert Rauschenberg mêle art et technologie. Il ne voit pas la technologie comme une force à éviter ou l'influence de la déshumanisation de la société1. Pour lui, la technologie est la « nature contemporaine »2 et il représente souvent les interactions hommes / machines dans son travail. Pour lui, les problèmes environnementaux ou l'industrie militaire grandissante ne peuvent être résolus par à un retour à un mode de vie plus simple.
Les éléments qui composent l'installation sont autant d'objets de récupération (baignoire avec douche, escalier, montant de fenêtre, portière de voiture, conduits de ventilation), appartenant au monde de la « technologie quotidienne ». Des objets banales, quotidiens, sortis de leur contexte, soustraits au rôle socialement codifiés.
Ces objets « précaires » contrastent avec la technologie avancée de l'installation sonore conçue par Klüver.
L'esprit de collaboration marque le style de Robert Rauschenberg. Avec Klüver, il voit la participation du travail de l'ingénieur à celui de l'artiste comme la solution pour un monde plus humain.
Ainsi, il crée avec Klüver (ingénieur), Robert Whitman (artiste) et Fred Waldhauer (ingénieur) l'Experiments in Arts and Technologie (E.A.T.), une association permanente dans laquelle des artistes et des scientifiques mêlent leur travail sous le patronage industriel. L'organisme est destiné à orienter les recherches des artistes dans les nouvelles technologies.
Comme eux, les futuristes italiens, les constructivistes russes ou encore les artistes du Bauhaus s'étaient déjà tournés vers l'industrie pour exprimer leurs idées.
Rauschenberg commence à assembler les pièces pour Oracle dès le début 1962, pendant que Klüver crée le système sonore. Rauschenberg lui demande de concevoir un système contrôlable par le spectateur.
Klüver installe des radios dans chaque partie de la sculpture. Chaque radio capte des bribes d'émissions de toutes les radios de la bande A.M de New York (la F.M était trop « high-class » et « ésotérique » pour Rauschenberg.)3.
La collaboration entre Rauschenberg et Klüver pour Oracle aura duré trois ans.
Pour éviter de câbler entre les sculptures, un signal est émis depuis un panneau de contrôle central situé dans une des sculptures qui est relayé par un petit transmetteur et qui commande les autres.
Les objets, les mots, la musique se mêlent. Rauschenberg trouvait que « The waves of radio sound made the room a funhouse. »4 (« Le son des ondes radio remplissaient la pièce de joie »).
Alan Salomon écrivit : « Fives pieces in the round with sound. »5 Cela résumait bien la composition de l'assemblage.
Il faut rappeler l'influence décisive sur Rauschenberg de l'enseignement du compositeur John Cage au Black Montain College, son goût pour le mélange des catégories, l'ouverture de l'œuvre sur la vie. Ainsi, dès 1953, ses œuvres intègrent toutes sortes d'objets et de matières hétéroclites, n'appartenant pas au registre habituel de l'art. Ces montages où se mêlent objets trouvés (bouteilles, chaises, ficelle, etc.), déchets, matières naturelles et journaux, Robert Rauschenberg les nomme « Combine Paintings », c'est à dire des œuvres combinées qui évitent les catégories (peinture, sculpture, collage). Oracle est une transposition dans l'espace et le son des ses premières Combine Paintings.
Rauschenberg avait déjà utilisé trois radios dans sa Combine Painting de 1959 « Broadcast » et dans une série de peinture de 1960 desquelles émergeaient des sons que chaque spectateur pouvait contrôler. Il avait également conçu un « environnement sculptural » dans le labyrinthe du Stedlijk avec Tinguely et Niki de Saint Phalle, dans lequel il avait incorporé le son d'une pompe électrique qui envoyait de l'air dans un tube rempli d'eau et des horloges qui tournaient à des vitesses différentes.
En 1997, Experiments in Art and Technology fabrique et installe un nouveau système avec la participation financière de Robert Rauschenberg et en fait don au centre Georges Pompidou.
Pour Rauschenberg, Oracle représente l'aboutissement d'une recherche sur les collages sonores, destinés à entrer en contrepoints avec les collages visuels. Pour Jean-Yves Bosseur, Oracle permet de vivre et d'entendre la réalité dans ce qu'elle a de fondamentalement expérimentale. Pour lui, voir et entendre dans le présent rompt avec l'illusion artistique.6
Rauschenberg souhaitait créer une sculpture comme un orchestre dans laquelle le spectateur pouvait être le conducteur. Les radios diffusent une cacophonie continuellement changeante de sons issus du monde réel qui émanent de chaque pièce de la sculpture. Oracle ouvre un contact auditif avec la ville, il est un concentré de sa situation. L'œuvre est à la fois finie et non-finie, elle obéit à une programmation précise mais son programme est modulable et ouvert. L'ambiance feutrée du musée est rompue par une circulation d'eau et de sons. Cette association eau – son est troublante par le contraste établit entre l'émission d'une musique naturelle et celle d'une musique fabriquée.
Alan Salomon, dît alors qu'Oracle reflétait le sens de l'humour spécial de Rauschenberg ainsi que son hilarant sens de l'absurde juxtaposition.7
Un oracle dans le Littré est, chez les païens, la réponse de la divinité à ceux qui la consultaient ; elle se rendait dans les temples et autres lieux consacrés par la religion. La divinité même qui rendait des oracles. (Aller consulter l'oracle).
Ainsi, Oracle représentant la vie quotidienne (baignoire, fenêtre, tôle, etc. trouvés dans les rues de New-York) serait la divinité, ce en quoi nous croyons (en matériel, objets de consommation) qui plus est située dans le temple de l'art, le musée. Cette divinité moderne nous dévoilerait l'oracle, les bruits de la ville, la musique, la radio tel un message brouillé. Le son confère à l'œuvre ses caractères dramatique et drôle de plus que le spectateur peut lui même changer la fréquence de l'oracle. Le son fait ici partie intégrante de l'intention de Rauschenberg de mêler l'art et la vie. La vie quotidienne avec des objets et des sons quotidiens. On capte simultanément Alger, Paris, Budapest, Milan. Les radios nous rappellent la dimension universelle du sujet moderne : le monde est un collage hétéroclite de sons simultanés.
Les sons que l'on entend ne se reproduiront plus. L'Oracle est ici une divinité bien précaire, le sens qu'il délivre n'est jamais définitif, la vérité est un devenir perpétuel.
Proche de certaines machines de Tinguely (qui a également créé des sculpture radiophoniques), cet environnement de machines vivant de leur vie propre, interrogeant les relations de la Junk Culture et de la technologie, est cependant chez Rauschenberg plus tragique que ludique.

Anaïs Rolez

 

1KOTZ, 1990. P. 134.
2Ibid.
3Ibid.
4Cité in KOTZ, 1990. p. 135.
5Phrase écrite par Alan Salomon dans le carton d'invitation pour la première exposition d'Oracle à la galerie Leo Castelli de New York en 1965.
6BOSSEUR, 1998. P. 82.
7Cité in KOTZ, 1990. p. 135.

 

AEOLIAN HARP, Wind Plays Harp (2009)

"Shot at Electric Eclectics Festival in Meaford, Ontario – Aug. 2009. I recorded this with a wireless Sennheiser lavalier mic placed inside the cavity of the harp (that's how I don't have any wind blowing dampening the sound). This is the raw recording with no effects added. The wind was strong enough to vibrate the strings and make a sound".

Originalplastic