THE WORKERS FUNERAL MARCH, Arseny Avraamov (1922)

La Marche funéraire des ouvriers a probablement été conçue comme une suite à la Symphonie des sirènes de Baku composée en 1922, pour le cinquième anniversaire de la révolution russe. Outre la chorale de ce chant qui est d’une facture  totalement conforme à la tradition musicale sacrée de la Russie orthodoxe, sa grande innovation réside dans le fait qu’en lieu et place de l’orchestre, ce sont les sirènes à l’échelle de toute la cité industrielle qui se sont substituées aux instruments de musique.

La mue de la Révolution s’est ici produite jusque dans la musique. Avraamov l’avait déjà célébré à Baku, puis à Nivni Novgorod et Moscou les années suivantes, cherchant à étendre les pupitres de à l’orchestre à la ville toute entière, faisant retentir sous ses ordres, canons, sirènes, cornes de brumes, sifflets à vapeurs des trains au milieu d’autres manifestations sonores détonantes. Cette fois-ci, à la place de la tradition séculaire des cloches des églises de l’ancienne religion orthodoxe, le glas funéraire est à présent donné par un son qui symbolise ce nouvel ordre sonore qu’une autre révolution, industrielle celle-là, a renversé puis remplacé par les sirènes des usines. Ces usines monumentales d’où l’on entend résonner les sirènes qui, désormais , rythment  le quotidien et la journée de tous les ouvriers.

La musique industrielle devient alors un formidable outils de la propagande soviétique.

Edgard Varèse avait certes déjà introduit la sirène au milieu de son orchestre notamment dans Amériques (1918-1921), puis dans Hyperprism (1923) et Ionisation (1933), elle se retrouve également dans le film Ballet Mécanique (1924) de Fernand Léger et Dudley Murphy sous la conduite musicale de George Antheil, mais avec cet exemple, dans un geste encore plus radical, Avraamov remplace tout l’orchestre par le son des sirènes pour accompagner ce chant choral funéraire.

Pour la mort de ses enfants, l’usine pleure donc aussi ses « fidèles », martyrs d’une autre sorte, mort pour la cause collectiviste, célébré au son des sirènes qui sonnent le glas des ouvriers morts au travail. Après tout, il est bien normal dans un monde où « le plan », le soviétisme et le stakhanovisme ont supplanté la religion, que la musique funéraire de ces ouvriers soit interprétée par l’usine elle-même.

Avec cet exemple,qui illustre l’un des plus purs produits du futurisme et du constructivisme russe, nous touchons, à la notion d’une musique prolétarienne qui, évidemment, s’oppose le plus radicalement possible à la musique bourgeoise de salon.

Dans le même temps, la musique sort de l’espace confiné de la salle de concert, pour investir un autre espace, bien plus vaste, qui se comprend maintenant à l’échelle de tout l’espace urbain et industriel.

Il faut imaginer cette scène où la chorale est disposé au centre d’une place et interprète ce chant religieux entouré par le son des sirènes qui résonne de part et d’autre de toute la ville aux alentours.

En voici une reconstitution sonore de Leopoldo Amigo et  Miguel Molina paru en 2008 dans l’indispensable coffret Baku Symphony of Sirens, qui regroupe reconstitution sonore et archives d’époque de l’avant garde russe.

Retrouvez d’autres informations sur le site Monoscop qui regroupe de nombreuses informations sur Arseny Avraamov.

LE LABORATOIRE DE L’OUIE de Dziga Vertov (1916)

DZIGA VERTOV ET LE LABORATOIRE DE L'OUIE (1916)

Photogramme tiré de L'homme à la caméra (1928) © Lobster Film

Pendant la première guerre mondiale, les idées futuristes de Maiakovski et de ses amis gagnent les grandes villes artistiques soviétiques comme Petrograd (Saint Petersbourg) et influencent un jeune poète et musicien, Denis Arkadievitch Kaufman, davantage connu aujourd’hui sous le nom de Dziga Vertov. En russe, le prénom Dziga est une déformation de Denis et se réfère au mot ukrainien qui veut dire toupie, mais aussi à Tzigane, peuple éternel errant. Vertov est dérivé du verbe russe « vertet » qui signifie « tourner, pivoter, tournoyer ». Dziga Vertov peut alors étonnamment prendre le sens de « Mouvement perpétuel ». Vertov poursuit alors parallèlement des études de médecine et de musique et admire beaucoup les futuristes russes.
« Traversons ensemble une grande capitale moderne, les oreilles plus attentives que les yeux… » déclare Russolo, une pensée qui semble avoir également animé le cinéaste russe bien qu’il ne connaisse pas l’existence des recherches du musicien futuriste. En 1916, Dziga Vertov fonde à l’âge de vingt ans un « laboratoire de l’ouïe » afin d’expérimenter le montage des sons par le biais du phonographe. Dans un texte intitulé « Naissance du ciné-œil » publié dans Articles, journaux, projets, coll. « 10/18 », il déclare : « Et voici qu’un jour de printemps 1918, je rentre de la gare. J’ai encore aux oreilles les soupirs, le bruit du train qui s’éloigne… quelqu’un jure… un baiser… quelqu’un s’exclame… Rire, sifflet, voix, coups de la cloche de la gare, halètement de la locomotive… Murmures, appels, adieux… Je pense chemin faisant : il faut que je finisse par dégotter un appareil qui ne décrive pas mais inscrive, photographie ces sons. Sinon, impossible de les organiser, de les monter. Ils s’enfuient comme fuit le temps. »S’agissait-il pour lui de réaliser de simples « sonographies » ou bien de monter, d’articuler entre eux, mettre en rythme les divers bruits prélevés à la réalité ? Nul document ne l’atteste à ce jour, mis à part les écrits de Georges Sadoul, assez vagues en ce qui concerne le réel travail effectué à partir de cette matière sonore.
« Vertov pratique le montage d’éléments sonores dans ce laboratoire de l’ouïe dont il est le seul chercheur. Il dispose d’un Pathéphone à pavillon modèle 1900 ou 1910. Avec ce phonographe très primitif Vertov enregistre et combine des sons de machines, de cascades etc. pour tenter de créer ce que nous appelons aujourd’hui la musique concrète (…) »

Pour réaliser ses expériences sonores, Dziga Vertov se voit logiquement obligé de transporter son appareil enregistreur sur les lieux choisis pour leur qualité acoustique, orienter ensuite le pavillon du phonographe en direction de la source convoitée afin d’en fixer le mouvement ondulatoire dans la cire d’un cylindre ou d’un disque. Grâce à ce Pathéphone lecteur et enregistreur, le jeune musicien enregistre toutes sortes de bruits divers : scieries mécaniques, torrents, machines en mouvement, conversation, etc. tentant de créer ensuite par leur agencement, leur montage, leur organisation, une sorte de nouvelle musique.

Sadoul évoque sans équivoque « le montage d’éléments sonores » et la « combinaison de sons ». Or, il n’existe qu’une seule possibilité en 1916 pour réaliser ce type de construction : le montage à la source – que l’on peut assimiler au montage caméra – où l’assemblage s’effectue au moment de l’acquisition par enregistrement successif de bruits. Il s’agit là très certainement de la technique employée par Vertov à laquelle il est possible d’adjoindre le tuilage, techniquement envisageable par ré-enregistrement, bien que celui-ci provoque une augmentation considérable du bruit de fond. Vertov imagine-t-il la combinaison de sons selon une construction horizontale, ou bien cherche-t-il à travailler verticalement afin de créer des polyphonies de bruits ? Il est plausible que Vertov, ne possédant qu’une seule machine, pratique le montage au moment de la prise de son et ne puisse pas effectuer de repiquage. De plus, la manipulation du phonographe n’autorisant pas de contrôle véritablement précis du montage, il est probable qu’une grande part de l’élaboration soit laissée au hasard, ce qui laisse songeur quant à la qualité des articulations, et la valeur musicale des montages de Vertov. L’imprécision des propos de Sadoul se manifeste également lorsqu’il mentionne que Vertov a « tenté de créer ce qu’on appelle aujourd’hui la musique concrète ». Bien que les premières années de la musique concrète de 1948 à 1950 s’élaborent, comme les expériences de Vertov dans son laboratoire de l’ouïe, à partir de la gravure sur disques souples, l’Etude aux chemins de fer, première des Etudes de bruits de Pierre Schaeffer, prend toutefois en compte la possibilité de transformer le son en postproduction par le ralentissement, l’accélération, l’inversion du son et le bouclage, grâce à la technique du sillon fermé. Sur ce point précis, Georges Sadoul ne délivre aucune information distincte quant à la technique adoptée par Vertov, ni sur la qualité de sa production sonore. Rien non plus ne vient confirmer si l’idée de la transformation des sons est envisagée au moment de la prise de son, ni même si celle-ci est envisagée tout court.

Si Russolo avec ses instruments bruiteurs concentre ses travaux sonores de manière « non imitative », il en va tout autrement de Dziga Vertov qui conçoit le bruit comme une réalité concrète. Son laboratoire de l’ouïe le conduit d’ailleurs à une représentation auditive de la « vérité » à travers la théorie du « radio-oreille » qu’il développe dans un souci rigoureux de restituer une objectivité auditive.
Selon Georges Sadoul, Dziga Vertov put, pour ses expériences, prendre l’Art des bruits de Luigi Russolo comme modèle, mais à la différence fondamentale qu’il refusa les instruments « imitatifs » pour employer l’enregistrement de sons réels. Nous savons aujourd’hui que Vertov n’avait pas connaissance des travaux de Russolo. Georges Sadoul montre toutefois que Dziga Vertov utilisait des éléments expressément catalogués trois ans plus tôt par Luigi Russolo comme des cascades, des moteurs, ou encore des scies mécaniques. Quels autres sons naturels ou citadins que ceux répertoriés par Russolo pouvaient attirer la curiosité d’un musicien futuriste comme Dziga Vertov sans recoupement possible ? De toute évidence, son emploi du phonographe – et donc la fixation du son sur un quelconque support, disques en cire, rouleaux ou cylindres – se démarque très nettement de la démarche de son homologue italien qui s’attache à reproduire les bruits mécaniquement. L’emploi d’un instrument enregistreur lui apporte d’emblée une forme « d’objectivité », une approche de la réalité sonore qui deviendra par la suite la définition même de son approche cinématographique : le Kino Pravda, le « cinéma-vérité ».
Toujours selon Georges Sadoul, Dziga Vertov pratique également dans son laboratoire de l’ouïe le montage de sténogrammes et le montage de mots, plus directement en rapport avec le langage et la poésie, dans le même esprit que les « poètes phonographistes ». Cette dernière technique lui sert notamment pour constituer certains poèmes tels Je vois, ou Start (1917).

Quelle est l’ampleur des recherches de Vertov dans ce domaine ? Existe-t-il encore des fragments de son travail ? Dans quel état de conservation ? Ces questions demeurent pour l’instant sans réponse. Il semble que ces expériences d’esprit futuriste ont été assez brèves et rudimentaires et sont restées, faute de moyens techniques, sans grande retombée sur le plan musical.
« Travaillant à partir d’un enregistreur sur disque en cire, Vertov cherche à enregistrer des bruits aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du studio afin de les rassembler dans des compositions entièrement nouvelles. Il tentait ainsi de créer les symphonies concrètes qui seront entendues dans ses films des années 30, et qui seraient techniquement réalisables par les compositeurs avec l’introduction du magnétophone à bande dans les années 40. Le résultat obtenu avec l’équipement disponible en 1917 devait être décourageant. En définitive, cette étape a servi de préparation au jeune artiste déçu pour l’essai d’un autre média ».

Ces expériences ont une grande importance en tant qu’étape dans le développement d’une pensée créatrice et ont servi de base aux recherches ultérieures du cinéaste. Cette idée de montage en liaison directe avec le montage cinématographique devient en effet centrale, lorsque Vertov se voit confier, à partir de 1919, le montage des films d’actualité reçus de toute la Russie où la guerre civile fait rage.

Voici reconstitué un extrait des expériences sonores de Vertov dans son laboratoire de l'ouïe

Deuxième extrait reconstitué.

MY NAME IS OONA, Gunvor Nelson (1969)

Par son intimité avec la nature, Oona évoque le monde des souvenirs, les réminiscences de l’enfance insouciante figurée par le jeu d’une fillette qui prend vie devant la caméra de Gunvor Nelson. Elle fait la rencontre et devient amie avec Steve Reich au San Francisco Mime Troup où, aux côtés de son mari, le cinéaste Robert Nelson, elle participe aux activités artistiques de cette troupe de théâtre contemporain en recherche de nouvelles formes. Dans ce cadre, dès 1964, Steve Reich participe à la réalisation de deux films de Robert Nelson The Plastic Haircut et Oh Dem Watermelons. Dans ce dernier film, il travaille à partir d’un chant sur le thème de la pastèque, un chant populaire qui peu à peu, se transforme en une musique répétitive surprenante pour accompagner les mésaventures d’une pastèque dans ce registre plutôt « humoristique » tout en augurant des polyphonies rythmiques vocales que Steve Reich développera dans les années 70.

Pour en revenir à My Name is Oona, Gunvor Nelson demande donc à Steve Reich, de composer une musique originale qu’il conçoit uniquement à partir d’enregistrement réels recomposés sur bande magnétique.

 

D’emblée, le film montre une relation audiovisuelle forte. Après le générique où l’on peut lire le titre, « My Name is Oona » sur un fond noir, le silence se prolonge sur les premières images en gros plan d’une fillette blonde qui se dandine. Elle s’adresse en silence à la caméra, c’est à ce moment que la bande son surgit, de manière décalée, pour donner à entendre l’enregistrement d’une fillette qui déclare avec entrain « My Name is Oona ».

Bien que la voix soit désynchronisée, le lien entre le titre, les premières images et la bande son, loin d’opérer une rupture audiovisuelle, ne fait, au contraire, que la renforcer.

A partir de cet enregistrement étalon, Steve Reich ne conserve finalement que le fragment « Oona ». Isolé, mis en boucle, répété ensuite de manière lancinante se transformant peu à peu du fait du déphasage qui se crée entre les deux magnétophones sur lesquels sont lus en même temps ce même fragment.
Cette manière de débuter sa musique n’est pas sans faire directement référence à ses expérimentations sonores à cette même époque, notamment en ce qui concerne l’emploi de la boucle, puis le déphasage de ces boucles, à l’instar des œuvres composées sur le même principe : It’ Gonna Rain (1965) et Come Out (1966).  

Le choix de ces éléments sonore fait écho avec le thème même du film, le souvenir. L’enregistrement fixe l’instant, avant le temps de la réécoute le transforme en souvenir, une réminiscence sonore.
Pour accompagner ces images de souvenirs resurgis, la voix d’une fillette est donc enregistrée, avec la patine particulière du son optique. Peut-être s’agit-il de la voix de l’enfant qui apparaît à l’écran ? peut-être est-ce la voix de Oona, probablement. Qui est Oona ? Le film ne le dit pas. « C’est un souvenir d’un autre temps » dirait Chris Marker… nous ne saurons pas.

Les images offrent un contraste saisissant avec les boucles de la musique où Nelson travaille davantage au niveau de la superposition plutôt que de la répétition. Au début donc, une fillette en gros plan, puis des branches, des feuilles qui ondoient au soleil dans le vent puis, de nouveau, le visage d’une autre jeune fille.

La deuxième partie apparaît avec un nouveau son documentaire, brut, où la voix de la petite fille, encouragée par sa famille, on suppose, annone les jours de la semaine en anglais. Suivent d’autres enregistrements de cette même enfant où elle décline sur tous les tons « My Name is Oona ». Reich procède alors à lente accumulation et une superposition de cette nouvelle manière jusqu’à lentement créer une gigantesque polyphonie réverbérante qui s’intensifie avant de disparaître pour céder délicatement la place au chant d’une berceuse chantée par la voix aimante d’une maman qui fredonne pour son enfant.

Un film fascinant ! 

 

My Name is Oona n’est pas une œuvre isolée sur le plan esthétique, on retrouve des principes de composition audiovisuels similaires pour d’autres films expérimentaux de la même période :  Berlin Horse (1970) de Malcom LeGrice sur une musique de Brian Eno ou T O U C H I N G de Paul Sharits où se répète inlassablement le mot « destroy ».

PENDULUM MUSIC, Steve Reich (1968)

 

Pendulum Music est une pièce conçue pour 2, 3, 4 ou X microphones, amplificateurs, enceintes et exécutants.

Au milieu des années 60, a New York, les travaux d’artistes conceptuels tels que Sol Lewitt, Richard Serra,  Bruce Nauman et Michael Snow sont plus ou moins associés au courant du minimal art. Steve Reich représente, en quelque sorte, la figure musicale au sein de ce mouvement. Il expérimente alors à partir de l’agencement de dispositifs sonores électroacoustiques. A mi chemin entre l’installation sonore et la pièce musicale, Pendulum Music se situe donc dans la poursuite des travaux de Reich sur le déphasage de boucles de bande magnétique sur magnétophones comme, par exemple, dans Come Out (1966) ou It’s Gonna Rain (1967)

Pendulum Music fut présentée pour la première fois en 1969, lors d’une session d’été à l’Université du Colorado, intégré à un spectacle multimédia intitulé Over evident Falls en collaboration avec l’artiste peintre Bill Wiley. L’événement est relaté par Steve Reich comme « un Happening pensé à la va vite » dans une mise en scène où les spectateurs, assistent à l’événement au milieu d’une pluie de faux flocons de neige éclairée par des tubes de néon de lumière noire.
Une photo de la performance du 2 mai 1969 au Whitney Museum of American Art de New York, montre les artistes Richard Serra, James Tenney, Bruce Nauman et Michael Snow prêt à donner la première impulsion au  balancement des microphones.

Le principe sonore de la pièce est simple et repose sur le mouvement de balancement imprimé à des microphones suspendus au dessus d’enceintes provoquant un effet périodique de larsen.

Dans un lent processus de ralentissement, l’amplitude du balancement diminue, des effets de déphasage se produisent entre les différents microphones. La forme de la pièce se fond alors dans le lent processus qui est fonction de la durée des balancements des microphones jusqu’à la stabilisation au dessus des enceintes créant alors des effets de larsens continus. A la périodicité et au rythme du début de la pièce se substitue peu à peu des fréquences modulantes déplaçant l’écoute non plus sur le rythme mais sur le paramètre de la hauteur.

L’écoute se porte également sur le phénomène acoustique et les variations de plus en plus infimes de la structure du larsen lorsque les microphones oscillent lentement, proches de l’immobilisation. Pendulum Music s’inscrit aussi pleinement dans l’idée d’une œuvre poly-sensorielle se donnant autant à voir qu’à entendre, permettant à l’œil de percevoir les micro modulations de la matière sonore par le biais du mouvement de balancement des microphones.

La « partition » de l’œuvre, qui est en réalité un simple texte manuscrit de Reich, a été écrite en août 1968, et révisée en mai 1973 par le compositeur. Elle indique que les exécutants après avoir impulsé le premier mouvement au balancement des microphones doivent rejoindre l’assistance pour assister à son déroulement.

Voici deux versions de la pièce.

Reconstitution de la mythique pièce de Steve Reich à l’école des beaux Arts du Mans, le 21 novembre 2014 dans le cadre de mon cours : Histoire et théorie du sonore..
Interprètes : Pierre-Marie Blind, Léo Urriolabeitia, Koré Préaud, Tanguy Clerc, Arthur Chambry, Rémy Hertrich.

BOX WITH THE SOUND OF IT’S OWN MAKING, Robert Morris (1961)

Bois (24.8 x 24.8 x 24.8cm), haut parleur, durée 3h1/2.

Né en 1931, Robert Morris est considéré avec Donald Judd comme l'un des principaux théoriciens du minimalisme. Proche des compositeurs La Monte Young et John Cage, sa pièce Box with the Sound of its Own Making est à la fois un hommage au Ready Made de Marcel Duchamp tout en contribuant à développer l'idée d'une sculpture minimaliste dans le sillage du Process Art, rejetant toute approche romantique dans le processus de création artistique.
Robert Morris réalise cette œuvre en janvier 1961 à New York. La boîte est constituée de six pièces de bois reliées entre-elles pour former un cube parfait de 28 cm de côté.
Pendant les trois heures et demi que durent la construction de la boîte, Robert Morris procède à un enregistrement audio où sont prélevés l'intégralité des bruits de la construction : découpage à la scie, marteau, ponçage, déplacements de l'artiste dans son atelier, etc.
Dans son principe d'exposition, la boîte donne donc à entendre les sons de sa fabrication au spectateur grâce à un petit haut parleur situé à l'intérieur de la boîte qui permet de réactiver la création de l'œuvre en temps réel.
Dans le cercle artistique de Morris, la boîte est également perçue comme une forme de performance musicale. John Cage, visitant l'atelier de Morris considéra l'œuvre comme un concert privé, s'installant face à elle pour écouter l'intégralité de l'enregistrement.
Echappant à tout idée de classification artistique, Box with the Sound of its Own Making met en lumière les relations qui peuvent unir sculpture et musique, perception visuelle et acoustique, objet et processus créatif.

L'enregistrement ci-après est une simulation reconstitution réalisée par Kate Blacker.

BEGONE DULL CARE, Norman Mc Laren (1949)

Dans sa quête de voir ce que l'on entend et entendre ce que l'on voit, Norman Mc Laren réalise Begone dull Care en 1949, un des plus beaux exemples de musique visuelle façonné à même la matière/pellicule selon les techniques du "Direct Film", par ajout de peinture sur de la pellicule transparente, par grattage de couches de couleurs successives sur la pellicule. Ce film expose de la manière la plus virtuose qui soit la complémentarité audiovisuelle et constitue l'un des films les plus incroyable dans le domaine de la musique visuelle.

L’ANGE, de Patrick Bokanowski (1984)

La mise en scène de gestes anodins et primordiaux de la vie est présente dans les trois premiers films de Patrick Bokanowski, La femme qui se poudre (1972), Le déjeuner du matin (1979) et trouve son accomplissement dans L’ange (1984), accompagnés de cette obsession répétitive qui caractérise également la musique de Michèle Bokanowski. Avec des frottements de tôle répétés, joués à l’archet et transformés dans La femme qui se poudre, des fragments de quatuor à corde retravaillé et mis en boucle dans L’ange, Michèle Bokanowski s’accorde à prolonger véritablement la structure intrinsèque de l’image. A tous les niveaux, la transformation est érigée en principe fondateur. Avec le couple Bokanowski, le cinéma devient l’art de fabriquer un monde de l’imaginaire entièrement subjectif.
Michèle Bokanowski établit son vocabulaire sur la même base que les images : éléments concrets retravaillés (objets sonores ou instruments), mise en boucle, déphasage et multiplication créant une tension et à un paroxysme avant d’entrer dans une nouvelle séquence.
Si Patrick Bokanowski se passionne pour les gestes du quotidien, c’est plutôt ce qui se passe à l’intérieur des personnages, pendant qu’ils font ces gestes, qui motive Michèle Bokanowski. Elle parvient, ainsi, à matérialiser l’impossible état de tension auquel les personnages sont soumis, prisonniers de leurs gestes et de l’univers étouffant qui les environne.
Le plus souvent, la musique crée une distance avec l’image sauf à certains moments, où des synchronismes très marqués apparaissent furtivement, comme quelque chose qui tombe brutalement sur l’image et à laquelle on ne s’attend pas, créant une surprise totale renforçant cette temporalité déviée qui n’appartient qu’à l’instant.

RESMUSICA, de Michèle Tosi, 2 avril 2013

Les cloches d’Atlantis de Philippe Langlois

Sous ce titre bien sonnant – qui fait directement référence au film expérimental de Ian Hugo, Bells of Atlantis de 1951 – Philippe Langlois retrace l’histoire des inventions sonores au cinéma, de ses origines, avec le cinématographe futuriste des années 1910, jusqu’au cinéma expérimental des vingt dernières années faisant appel au dispositif sonore électroacoustique: une trajectoire d’un siècle qui met en lumière, et en résonance, les rapports qu’entretient le cinéma avec les technologies du son.
S’élabore ainsi une pré-histoire des musiques électroacoustiques dans le sillage de nombre de « trouveurs » géniaux (Luigi Russolo, Dziga Vertov, les frères Whitney, … ) et leurs inventions, décisives pour la sonorisation de l’image, comme la synthèse optique ou la musique concrète.

Dans deux chapitres connexes, « Musique concrète et cinéma » et « Le service de la recherche », Philippe Langlois revient sur la personnalité de Pierre Schaeffer et sur sa pensée de l’image, « aventure essentielle pour saisir l’envergure du parcours intellectuel de ce chercheur en art-média » précise l’auteur. Après le Studio d’Essai de la rue de l’Université, Pierre Schaeffer est nommé, dans les locaux de la RTF, à la tête du Service de la Recherche qu’il dirigera de 1960 à 1974. On a recensé durant ces 14 années 114 films conçus en collaboration avec les compositeurs du GRM (Pierre Schaeffer, François Bayle, Bernard Parmegiani, Luc Ferrari, Robert Cohen-Solal, Ivo Malec, Pierre Henry…) dont Philippe Langlois sélectionne les productions les plus importantes bien que souvent fort peu connues. Après 1950, et à côté du cinéma d’auteur (Alain Robbe-Grillet et sa collaboration avec Michel Fano, Tarkovski/Artemiev…) c’est le cinéma fantastique et de science-fiction (aux Etats-Unis notamment avec Ian Hugo, Fred McLeod Wilcox, Arthur Hilton…) et le cinéma expérimental (Found Footage), en marge des circuits commerciaux, qui développent les moyens d’une nouvelle lutherie électronique et se rapprochent étroitement de la pratique musicale électroacoustique.

Sous sa plume passionnée et au terme d’un travail de recherche de plus de dix ans qui nourrit cette somme impressionnante, Philippe Langlois révèle un pan de l’Histoire de la Musique et du Cinéma tout à fait inédit dont on peut prolonger la découverte par le biais du site internet lesclochesdatlantis.com où de nombreux extraits vidéo, sonores et iconographiques viennent illustrer le propos et ancrer cette étude dans un univers de création extrêmement fécond.

http://www.resmusica.com/2013/04/02/les-cloches-datlantis-de-philippe-langlois/

INTONARUMORI & L’ART DES BRUITS, de Luigi Russolo (11 mars 1913)

Le Bruitisme a cent ans…

Le terme "intonarumori" provient de la contraction des mots italiens intonare (chanter) et rumori (bruits) qui désigne la possibilité de faire chanter ou d'entonner les bruits.

La révolution du mouvement futuriste dans le domaine musical émane du Bruitisme du peintre Luigi Russolo, décrit dans son ouvrage l’Art des bruits qui vient compléter, de façon éloquente, les idées futuristes dans le domaine du timbre. C’est prétendument au cours de la soirée futuriste du 9 mars 1913, au théatro Costanzi de Rome, que Luigi Russolo, à l’audition de la symphonie de Pratella L’hymne à la vie, eut une « intuition révolutionnaire », « le Bruitisme » : étendre le champ du timbre à l’utilisation du bruit dans une perspective musicale. Nous savons aujourd’hui que cette idée était en réalité antérieure au concert du 9 mars, et qu’elle fut présentée comme telle pour ménager la susceptibilité  de Pratella, désigné comme le compositeur futuriste officiel. C’est ainsi que Russolo écrivait deux jours plus tard, le 11 mars 1913 une « lettre manifeste » élogieuse à l’attention de Pratella dans laquelle on peut lire :

« (…) Chaque bruit a un ton, parfois aussi un accord qui domine sur l’ensemble de ses vibrations irrégulières. L’existence de ce ton prédominant nous donne la possibilité pratique d’entonner les bruits, c’est-à-dire de donner à un bruit une certaine variété de ton sans perdre sa caractéristique, je veux dire le timbre qui le distingue. Certains bruits obtenus par le mouvement rotatoire peuvent nous offrir une gamme entière ascendante ou descendante soit qu’on augmente, soit qu’on diminue la vitesse du mouvement. (…)»

(Russolo, l'art des bruits, 11 mars 1913)

Voici cinq exemples d'instruments bruiteurs de Luigi Russolo, dans l'ordre : Crepitatore, Ullulatore, Gracidatore, Gorgogliatore, Ronzatore.

Intonarumari de Luigi Russolo

Quelques exemples de musiques qui intègrent les bruiteurs de Rossolo au sein d'une formation instrumentale :

– Corale (1921) de Antonio Russolo, frère de Luigi à partir d'un enregistrement original de 1921.

L’aviatore dro opus 33 (1913-14), opéra de Francesco Ballila Pratella pour soprano et piano où l’utilisation des instruments bruiteurs de Russolo est intégrée au sein d’une écriture musicale classique.