LAST WORDS, de Vanessa Place (2015)

LAST WORDS (Derniers Mots)  est un livre d’artiste associant une pièce sonore avec les derniers mots des condamnés à mort recueillis juste avant le début de la procédure d’exécution  – et rendues publiques par le Département de la Justice Criminelle du Texas sur son site internet,  À ce jour,  depuis la reprise des exécutions capitales  le 7 décembre 1982 au Texas, 527 détenus ont été mis à mort par injection létale.
Vanessa PLACE  prononce les dernières paroles des condamnés à mort, recueillies juste avant le début de la procédure d’exécution, et rendues publiques par le Département de la Justice Criminelle du Texas sur son site internet, tout comme les portraits des exécutés réunis ici dans le livre. À ce jour, 527 détenus ont été mis à mort au Texas depuis 1982. Tous par injection létale.

« Il serait mal venu d’entendre dans cette lecture une quelconque musique et même une sombre poésie sonore. Il faudrait demander à Vanessa Place, poète américaine et aussi avocate, ce qu’elle est venue chercher dans ces derniers aveux de condamnés à mort par la justice texane depuis la reprise des exécutions capitales, en décembre 1982 – un usage poétique du témoignage, comme le fit Charles Reznikoff avant elle, peut-être ; une inspiration qui fouille au plus noir de l’humain – que l’humain en question soit juge, assassin ou même (qui sait ?) innocent – peut-être aussi, à la manière de Kathy Acker, Peter Sotos ou Dennis Cooper (dont Dis Voir publia le saisissant Jerk dans la même collection.)
Ces « endormis » que l’on trouve photographiés dans le livre – images et mots proviennent des archives du site internet de la Justice Criminelle du Texas – se pressent les uns contre les autres: six portraits par page, et Last Words en compte soixante. Pour ne pouvoir citer chacun de ces trois-cent-soixante condamnés-là, Place nous interdit à sa manière de lier, comme dans un jeu d’enfant, tel visage aux mots qu’il aura pu prononcer tout comme elle s’est gardé d’attacher à telle parole le crime qui l’aura fait taire.
D’une voix monotone, voire rentrée, elle égrène alors un chapelet – il est ici souvent question de dieu et de ses ambassadeurs – d’excuses, de regrets et de mots d’amour, de détails oubliés et d’espoirs qui y sont peut-être accrochés (de rentrer « à la maison », de se voir accueillir « au ciel », de croire que la mort que l’on va vous injecter est une sorte de renaissance…), d’hommages et de dédicaces, de remerciements (plus seul qu’il serait possible de l’être en plein désert, la religion parviendrait encore à vous guider), d’adieux enfin – le plus terrible étant peut-être ce « No last statement, no. »
Poignant, évidemment. Rendue sous un ciel de plomb, la chose administrative attrape les derniers mots de ses condamnés et les rend publics : Vanessa Place, elle, récite et illustre aujourd’hui ce qu’écrivit Michel Foucault jadis : « Au cœur de la folie, le délire prend un sens nouveau. » Or, peut-être n’est-ce pas ce « sens nouveau » qui frappe ici le plus.  » Guillaume Belhomme © Le son du grisli

Vanessa PLACE (née en 1968 à Stratford, vit et travaille entre Los Angeles et New York) est une écrivaine et performeuse américaine. Première poète à avoir participé à la Biennale du Whitney Museum à New York, elle a notamment réalisé des performances au PS1, New York et à la Whitechapel Gallery, Londres. Elle  est également critique et avocat de défense pénale.

Format

165 x 215 mm

Pages

64

Illustrations

60 color

Reliure

paperback

ISBN

978-2-914563-77-2

CROSSFADING, Loris Gréaud (2015)

Dernier né de la collection de livres/disques Zagzig, aux éditions DisVoir, CROSSFADING est une expérience sonore inédite réalisée dans le cadre d’une installation de l’artiste Loris Gréaud lors de séances participatives qu’il organise depuis cinq ans dans différents musées à travers le monde.
Conçue pour un système de diffusion sonore binaural – procédé découvert par Heinrich Wilhelm Dove en 1839 – cette installation consiste à envoyer dans chaque oreille, à l’aide d’un casque, des fréquences très proches les unes des autres créant un battement à même de générer des ondes Alpha. Ces ondes caractérisent un état de conscience apaisé, et sont principalement émises lorsque le sujet a les yeux fermés. Elles surviennent lors d’état méditatifs, notamment au moment de l’endormissement de sorte que l’esprit reste éveillé mais le corps endormi comme dans un état de relaxation et de méditation profondes.

CROSSFADING joue donc de ce phénomène perceptif pour conduire progressivement l’auditeur au seuil de l’endormissement et lui permettre d’accéder à des rêves éveillés et à des hallucinations tant auditives que visuelles.

CROSSFADING, est un livre d’artiste qui inclut le CD de l’enregistrement live de la dernière installation de la pièce sonore présentée au Whitney Museum à New York. Il donne aussi à voir l’IRM des hémisphères cérébraux de l’artiste sollicités au cours de l’écoute de cette expérience rare.

CROSSFADING propose ainsi une expérimentation artistique comme vaste entreprise pour « endormir le monde » visant à  un état de conscience insoupçonné où chaque auditeur/lecteur est invité à explorer les confins de sa propre psyché.

Détendez-vous et, pour un effet optimum, faites un essai d’écoute binaurale au casque pour une expérience littéralement sensationnelle !

CROSSFADING _ LORIS GREAUD _ WHITNEY MUSEUM OF ART _ 2006 from GREAUDSTUDIO on Vimeo.

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DISPARITION, Jacopo Baboni Schilingi (2007)

 

Commande de la Direction de la musique, de l'Atelier de création radiophonique, et du département fiction de France Culture, Disparition pour récitant, baryton, mezzo-soprano, flûte, hautbois, clarinette, alto, piano et électronique, a remporté le prix spécial dans le cadre du prix Italia 2008 en catégorie musique.

Texte de Yannick Liron

Musique de Jacopo Baboni Schilingi

Anne Quentin (soprano) ; Nicolas Isherwood  (baryton) ; Sharif Handura (narrateur) ;

Anne Nardin (flûte) ; Christian Schmitt (hautbois) ; Thierry Perrout (clarinette) ; Françoise Tempermann (alto) ; Véronique Ngo Sach Hien (piano)

 

INTONARUMORI & L’ART DES BRUITS, de Luigi Russolo (11 mars 1913)

Le Bruitisme a cent ans…

Le terme "intonarumori" provient de la contraction des mots italiens intonare (chanter) et rumori (bruits) qui désigne la possibilité de faire chanter ou d'entonner les bruits.

La révolution du mouvement futuriste dans le domaine musical émane du Bruitisme du peintre Luigi Russolo, décrit dans son ouvrage l’Art des bruits qui vient compléter, de façon éloquente, les idées futuristes dans le domaine du timbre. C’est prétendument au cours de la soirée futuriste du 9 mars 1913, au théatro Costanzi de Rome, que Luigi Russolo, à l’audition de la symphonie de Pratella L’hymne à la vie, eut une « intuition révolutionnaire », « le Bruitisme » : étendre le champ du timbre à l’utilisation du bruit dans une perspective musicale. Nous savons aujourd’hui que cette idée était en réalité antérieure au concert du 9 mars, et qu’elle fut présentée comme telle pour ménager la susceptibilité  de Pratella, désigné comme le compositeur futuriste officiel. C’est ainsi que Russolo écrivait deux jours plus tard, le 11 mars 1913 une « lettre manifeste » élogieuse à l’attention de Pratella dans laquelle on peut lire :

« (…) Chaque bruit a un ton, parfois aussi un accord qui domine sur l’ensemble de ses vibrations irrégulières. L’existence de ce ton prédominant nous donne la possibilité pratique d’entonner les bruits, c’est-à-dire de donner à un bruit une certaine variété de ton sans perdre sa caractéristique, je veux dire le timbre qui le distingue. Certains bruits obtenus par le mouvement rotatoire peuvent nous offrir une gamme entière ascendante ou descendante soit qu’on augmente, soit qu’on diminue la vitesse du mouvement. (…)»

(Russolo, l'art des bruits, 11 mars 1913)

Voici cinq exemples d'instruments bruiteurs de Luigi Russolo, dans l'ordre : Crepitatore, Ullulatore, Gracidatore, Gorgogliatore, Ronzatore.

Intonarumari de Luigi Russolo

Quelques exemples de musiques qui intègrent les bruiteurs de Rossolo au sein d'une formation instrumentale :

– Corale (1921) de Antonio Russolo, frère de Luigi à partir d'un enregistrement original de 1921.

L’aviatore dro opus 33 (1913-14), opéra de Francesco Ballila Pratella pour soprano et piano où l’utilisation des instruments bruiteurs de Russolo est intégrée au sein d’une écriture musicale classique.

IMAGINARY LANDSCAPE NO.4 de John Cage (1951)

Imaginary Landscape n°4 est dédicacée à Morton Feldman. Vingt-quatre manipulateurs sont nécessaires pour exécuter cette œuvre, soit deux par poste de radio : le premier pour varier les fréquences, le second pour contrôler le volume.

Il semble futile voire contradictoire ici, de vouloir rendre compte de la portée de cette œuvre à travers les instants immuables de l’enregistrement vidéo qui fige l’exécution d’une partition qui, intrinsèquement, cherche le renouvellement permanent et l’indétermination lors de chacune de ses interprétations. Aussi, les enregistrements qui illustrent ce propos ne sont ils pas des contre-exemples de ce que Cage cherchait précisément à approcher : l’indétermination dans l’instant de chacune de ses exécutions ?

Le percussionniste Lê Quan Ninh, spécialiste de l’interprétation de la musique de John Cage, indique que cette œuvre ne doit pas être interprétée de manière frontale mais que les postes de radio doivent au contraire être dispersés dans l’espace. La pièce ne doit pas non plus être dirigée par un chef d’orchestre. Aussi les deux exemples qui suivent semblent très loin d’une représentation idéale.

Extrait d’un article de Catherine De Poortere,

Le poste de radio, dont John Cage extrait du son aléatoire comme il pourrait le faire de n’importe quel objet trouvé, figure au centre de deux performances (1951 et 1956) d’une sobriété presque contemplative, désintéressée. D’un effet vertigineux, ces mises en scène n’en demeurent pas moins simples et ordinaires. Au milieu du siècle des avant-gardes, John Cage n’est pas de ceux qui, sans discernement, exaltent le progrès et cherchent à s’en prévaloir. En art comme dans la société, dans les faits comme dans la vie, l’innovation technique, qu’elle soit littérale, ludique ou même subversive, ne tient lieu ni de style ni de contenu. Aux yeux de cet artiste pluridisciplinaire mais radical, il n’est d’art que vivant, émancipateur, toujours en devenir. L’œuvre ne peut se donner comme forme fixe, forme inerte, sclérosée; c’est là le cadavre de l’art peut-être – si tant est que l’art n’abolisse pas nécessairement sa propre fin.

C’est ainsi que Cage procède : cadrer pour libérer. Les amateurs de notations originales trouveront leur bonheur en examinant les « partitions » de « Radio music » et « Imaginary landscape n°4 », sur lesquelles l’artiste détaille écarts de fréquences, silences et autres spécificités hertziennes, d’abord sur une portée puis directement en chiffres et en traits de façon à ouvrir au maximum le spectre de manœuvre. Ces deux morceaux, qui emploient chacun une dizaine de postes et le double en exécutants, sont voués à être uniques (on ne tient pas compte des enregistrements « historiques », contradiction dans les termes), d’autant que la radio évolue sans cesse, en forme et en contenu. Si la radio n’est guère qu’un objet sonore parmi d’autres pour John Cage, plus encore que le piano arrangé, elle est l’instrument de l’indétermination par excellence. Sa multiplicité reflète la multiplicité de tous, reflète plus encore la multiplicité d’un seul – et parfois même elle paraît porter la gravité de son destin. Unanime et ressemblante, est-elle l’expression de tous ou d’un seul ? Ou, immanence ingrate, ne dévoile-t-elle qu’un visage rassemblé, difforme – son visage arbitraire ?

La radio n’a pas de sens, elle les contient tous, n’en retient aucun. L’ampleur d’un paysage imaginaire est sans limites. À l’écoute, on se trouve d’emblée transporté comme dans un long voyage en voiture. Il arrive toujours un moment où dans la torpeur de la monotonie, on allume distraitement la radio. À tâtons (qu’est-ce qu’on cherche ? qu’est-ce qu’on attend ?), on s’abandonne aux ondes indistinctes, cela peut durer des dizaines de minutes, entre deux villes sur l’autoroute il n’y a pas grand-chose, on passe trop vite d’une chaîne à l’autre, tout est fluide, les parasites collent les bribes de voix, les langues inconnues, les notes de musique, les cris, les rires… La radio est ce médium acousmatique qui ne supprime certaines formes du silence, de la solitude et du vide que pour les remplacer par d’autres, plus insidieuses, plus redoutables, car plus banales… Voilà ce qu’évoquent ces deux morceaux de Cage, ces temps de dérive, ces temps abstraits infiniment creux où, sans se l’avouer, ce qu’on écoute à la radio c’est la radio elle-même, totalité incohérente, continue et discontinue, lugubrement rassurante, berceuse appropriée au demi-sommeil, à la folle rêverie de la pure passivité.

RADIO MUSIC de John Cage (1956)

 

Radio Music (1956) d'une durée de 6 minutes peut être jouée en solo et jusqu'à 8 exécutants.

Cette pièce fut crée le 30 mai 1956, aux  États-Unis, à New York City, au Carl Fisher Haller, par John Cage, Maro Ajemian, David Tudor, Grete Sultan et les membres du Juilliard String Quartet.

La partition n'est composée que de chiffres indiquant 56 fréquences ainsi que des tirets indiquant des silence. De plus il y a 4 mouvements qui peuvent être marqués ou non par des silences.

GANTZ GRAF de Autechre (2002)

Encore un exemple qui œuvre dans le sens d'une recherche audio graphique absolue, cette fois-ci sous la forme figurative d'une machinerie géante abstraite en mouvement dans le clip vidéo du morceau Gantz Graf, (2002) du groupe britannique Autechre, fondé en 1991 par Rob Brown et Sean Booth, devenu l'un des jalons du label Warp.

4’33 » de John Cage (1952)

4’33 » célèbre pièce de John Cage composée en 1952 appartient au répertoire d’un courant musical que l’on nomme musique expérimentale. Cage s’intéresse non pas au caractère unique de la permanence ou à l’aspect immuable de l’œuvre mais au caractère unique du moment, c’est l’un des concept du Yi King. Au contraire du compositeur d’avant garde qui veut figer le moment afin de préserver son caractère unique et permettre à l’œuvre de trouver une forme définitive et permanente. Il en résulte un bouleversement de la notion d’identité primordiale d’une composition pour les avant-garde, notion très différente chez les compositeurs expérimentaux où deux versions d’une même pièce n’aurait aucun fait musical perceptible en commun.
Pour autant « l’exécution d’une composition qui est indéterminée dans son exécution est nécessairement unique. Elle ne peut être répétée. Quand elle est interprétée une seconde fois, son issue est autre que ce qu’elle a été. Ainsi rien n’est accompli par une telle exécution puisque cette exécution ne peut être saisie en temps temporel » dit Cage.

Du coup, les enregistrement sont trompeurs et seulement représentatif d’une manière d’interpréter la pièce

4’33 » implique l’écoute de ce qui se passe pendant que la pièce est interprétée. C’est précisément l’instant de l’exécution qui fait œuvre riche ou pauvre, peu importe. Les protestations hostiles du public sont tout aussi intéressantes que les sons produits par l’exécutant à la différence que les réactions instinctives du public sont incontrôlées alors que l’exécutant sait exactement ce qu’il fait de manière réfléchie et contrôlée.
Cage vise à un engagement de l’auditeur aussi profond que possible et à une mise à l’épreuve de ses facultés de perception.

Comme indiquée sur la partition, la pièce est prévue pour être interprétée pour n’importe quelle instrument ou groupe d’instruments.

Lors de la création par David Tudor le 29 août 1952, au Maverick Concert Hall de Woodstock dans l’État de New York, dans une interprétation pour piano solo, Le public l’a vu s’asseoir au piano, soulever le couvercle et laisser ses mains au-dessus des touches de l’instrument. Après un moment, il ferma le couvercle et se leva. Le morceau avait été joué et pourtant aucun son n’était sorti.
« […] les gens ont commencé à chuchoter l’un à l’autre, et certains ont commencé à sortir. Ils n’ont pas ri – ils ont juste été irrités quand ils ont réalisé que rien n’allait se produire, et ils ne l’ont toujours pas oublié trente ans après : ils sont encore fâchés. » écrit David Revill dans son ouvrage The Roaring Silence: John Cage, A Life.

La notion de temps dans chacune des parties doit être observée scrupuleusement, à l’exclusion des silences entre les trois parties
Dans la version de David Tudor , lors de la création en 1952, les silences et la séparation entre les parties est marquée par l’ouverture et la fermeture du couvercle du piano.

La longueur de 4’33 » est en fait désignée par pur hasard. Et c’est ce temps qui donne son titre à l’œuvre. Cependant, bien qu’aucune preuve ne vienne avancer la théorie suivante, il semblerait que Cage ait choisi cette longueur de manière délibérée. En effet, quatre minutes et trente-trois secondes équivaut à 273′, l’opposé de la valeur en degrés Celsius du zéro absolu (température négative) où aucun mouvement ne peut se faire. Signe de la volonté d’atteindre le point mort d’où aucun son ne peut provenir. Une autre théorie, provenant du philosophe et spécialiste de John Cage, Daniel Charles, indique que 4’33 » pourrait être un ready-made à la Marcel Duchamp du fait que John Cage se trouvait en France lors de l’année de composition de l’œuvre et que sur les claviers de machines à écrire en AZERTY le 4 et le 3 correspondant au signe « ‘ » et «  » » – signifiant minute et seconde.