LE TELESCRIPTEUR de René Blanchard (1964)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

Un téléscripteur est un appareil qui équipe les régies de télévision qui permet d’écrire des génériques, des textes, mélangés ou non avec d’autres images, destinés à apparaître sur l’écran de télévision avant d’être diffusée chez les téléspectateurs. Dans ce film, conçu comme véritable interlude à intercaler entre les programmes de télévision, un petit personnage représentant le téléscripteur peine à écrire sur l’écran « Dans quelques instants la suite de notre programme ». Le film est réalisé à partir d’une animation et d’un graphisme très simplifiés. Les gags sonores y ont autant d’importance que les gags visuels.

Ce film est révélateur des orientations du Service de la recherche qui cherche, dès 1964, à montrer qu’il se préoccupe tout autant de l’intégration à l’antenne de ses productions que de la recherche audiovisuelle fondamentale pure. Cette implication s’exprime jusque dans ce qui relève habituellement de l’habillage et de la direction de l’antenne. Des petites productions conçues comme de petits intermèdes entre les programmes s’emparent de cette thématique pour mieux tenter de la détourner.
La musique, de Bernard Parmegiani, mentionnée dans les notices de l’INA en tant que « musique originale œuvre télé » est construite sous la forme d’un collage horizontal, en cut up, de sons concrets, de bruit très identifiés, de courtes séquences vocales, organisées comme une véritable musique concrète à programme, constituant une forme de burlesque sonore, en synchronisation directe avec les péripéties d’un petit personnage qui tente, non sans mal, d’interrompre les programmes et qui s’impatiente ensuite, avec tout autant de difficultés et d’énervement réussir à les reprendre. La musique de Bernard Parmegiani tente elle aussi de s’émanciper des règles de la composition concrète, non sans une pointe d’autodérision transgressant toutes les règles propres au solfège des objets musicaux, mais où l’idée de gag sonore prend tout son sens.

Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.

PORTRAIT DUBUFFET de Gérard Patris (1964)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

C’est autour des toiles de Dubuffet, réunies sous l’appellation générique de Fleur de barbe, pendant leur exposition au musée des arts décoratifs, que Gérard Patris trouve l’idée formelle autour de laquelle il va organiser tout son autoportrait Dubuffet.
Fleur de Barbe c’est aussi le titre d’un poème écrit par le peintre lui-même, poème que Dubuffet va scander, chanter, crier, de sa voix rocailleuse sublime, en s’accompagnant lui même d’instruments de musique traditionnels : flûtes, percussions, appeaux, métaux, etc., créant une étrange cantillation dont les accents renvoient à des rites traditionnels anciens.
Des caméras dissimulées l’ont filmé, à son insu, pendant son travail en studio, puis alors qu’on lui montrait des séquences de l’émission Terre des Arts à laquelle il avait participé. Ses réactions ont été montées en alternance avec les passages projetés qui apparaissent sur l’écran d’un appareil de télévision – « Tout cela, dit-il, c’est du cinéma ! » – et vient démontrer par son contraire la valeur de témoignage de la caméra invisible – Le film ainsi réalisé dépasse la seule approche de l’œuvre en offrant plus qu’un portrait en creux, le visage le plus vrai de l’artiste et de l’homme, son autoportrait par un autre.
On ne peut pas à proprement parler d’une musique de film pour accompagner cet « essai télévisuel », dans la mesure où le film s’articule principalement autour des interventions poétiques de Dubuffet.
Dans le générique, le travail sonore est mentionné de la manière suivante « Eléments sonores Jean Dubuffet Luc Farrari ». Les interventions de Luc Ferrari sont relativement discrètes, jouant le rôle d’élément structurant en venant ponctuer les moments charnières du film, laissant la part belle aux sublimes actions poétiques de Dubuffet.

Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.

WATER WALK de John Cage (1959)

Dans cette vidéo, John Cage apparaît dans la très populaire émission de télévision I’ve Got A Secret, créée en 1952.

Le principe de ce jeu télévisé consiste en le fait d’inviter deux participants par émission, parfois en présence d’une star invitée. Chaque joueur est convié à faire deviner au public son « secret », après l’avoir chuchoté à l’oreille de l’animateur, alors qu’apparaît à destination des spectateurs télévisuels, en surimpression sur l’écran, la description du fameux « secret ». Le public est invité à deviner ce « secret », soit grâce ses propres questions, soit grâce à celles de l’animateur. Après quelques minutes, le joueur fait, dans la mesure du possible, la démonstration de ce « secret ».

John Cage, qui enseigne alors la Composition Expérimentale à la New School de NYC, annonce son secret : « I’m going to perform one of my musical composition… / The instruments I will use are : / a Water Pitcher / an Iron Pïpe, a Goose Call / a Bottle of Wine / an Electric Mixer / a Whistle / a Sprinkling Can / Ice Cubes / 2 Cimbals / a Mechanical Fish / a Quail Call / a Rubber Duck / a Tape Recorder / A Vase of Roses / a Selzer Siphon / 5 Radios / a Bathtub / and A GRAND PIANO. »

L’animateur, qui présente Cage comme « l’une des figures artistiques les plus controversées de son temps», propose alors de passer outre le jeu des questions-réponses et de lui offrir un instant télévisuel libre pour faire la « démonstration » de son travail de composition qu’il qualifie par erreur de « son expérimental ». Cage rectifie immédiatement en précisant : « musique expérimentale », avant de donner sa propre définition de la musique, réalisée à partir de « sons » produits par une série d’objets usuels – dont il va faire découvrir la musicalité au travers d’une interprétation de la pièce Water Walk.

La partition indique à l'exécutant une série d'actions à exécuter dans un temps donné, les chiffres indiqués au dessus des actions représentant les secondes.

Suit alors un magnifique manifeste de Cage sur la place du spectateur. L’animateur prévient : « peut-être que quelques auditeurs ne pourront supporter votre musique… Peut-être que certains riront même de vous». Et Cage de répliquer : « Pour moi, les rires sont comparables aux larmes ».
 

Texte de Christophe Kihm et Elie During initialement publié sur le blog de WFMU.