YEVGENY CHOLPO, pionnier russe de la synthèse optique

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

La synthèse optique apparaît en URSS presque parallèlement aux recherches de Pfenninger et Fischinger en Allemagne. L’idée de produire du son synthétique sur pellicule a donc germé conjointement en deux parties distinctes du monde sans qu’il soit établi de relation directe entre les deux découvertes.
Dès 1932, Yevgeny Cholpo reprend l’idée de travailler sur les sons optiques au Conservatoire de Leningrad – Len Film- avec G. M. Rimsky-Korsakoff, à partir de l’oscillographie des sons naturels.

Cholpo développera, par la suite, sa propre méthode de production sonore et ce, jusqu’à inventer une machine qui mécanise l’animation du son. Il la baptise « variophone » : il s’agit d’un appareil photoélectrique qui fabrique des bandes-sons optiques à partir de disques en cartons évidés, tournant le long d’un axe et impressionnant la piste optique de la pellicule de façon mécanique.

De 1932, année du premier modèle, à 1948, Cholpo invente trois versions du variophone. Le deuxième voit le jour au sein du laboratoire d’animation des studios Len Film et c’est avec cet appareil que Cholpo réalise la majeure partie de son œuvre : La Danse du corbeau (1932),

La Symphonie du monde (1933), La Cinquième variation de la sonate pour piano de Beethoven, La Chevauchée des Walkyries et le Prélude de Rachmaninov (1934).

ORNAMENT SOUND de Oskar Fischinger (1931)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

Au même titre que Rudolf Pfenninger, Oskar Fischinger peut être considéré comme l’un des pères de la synthèse optique. Peintre à l’origine, il se convertit au cinéma dans les années 1920 et réalise une oeuvre centrée la musique visuelle,
Ses travaux sur le graphisme sonore aboutissent à un film de huit minutes, Tönende OrnamentOrnament Sound –  en 1932, dans lequel il tente de formaliser scientifiquement l’utilisation du son optique en se libérant par conséquent de tout modèle musical préexistant. C’est à ce niveau que surgit la grande différence entre l’approche de Pfenninger et celle de Fischinger où il se concentre sur l’idée de modélisation du son à des fins synesthésiques et Pfenninger travaille quant à lui à reproduire une musique pour accompagner les péripéties de personnages animés.
En déclarant faire une musique de lumière – Lichtmusik – dans Ornement Sound, Oskar Fischinger  parvient à modeler une foule d’éléments sonores et de paramètres qu’il baptise également sons stéréoscopiques. Pour couvrir l’étendue des possibilités offertes par la synthèse optique, Fischinger doit réaliser de nombreuses tables de conversion afin de déterminer les formes d’ondes capables de produire des timbres distincts, des rythmes prédéterminés, des nuances contrôlées. Il tente ainsi de définir de manière scientifique le rapport exact qui unit le graphisme sur piste optique avec les bases théoriques du solfège musical.

 Voir l’article de Philippe Langlois sur Oskar Fischinger sur le site de Pionniers et précurseurs

TONENDE HANDSCHRIFT de Rudolf Pfenninger (1931)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

Tönende Handschrift peut être considéré comme un « film-manifeste ». Le titre, « écriture sonore manuscrite » introduit également par jeu de mots la notion de « manuscript sonore ». Ce court-métrage de treize minutes est un film fondateur en matière de sons synthétiques.
Constitué d’une première partie documentaire sur la science acoustique, Tönende Handschrift peut être classé parmi les films dits « scientifiques », ou « documentaires » comprenant dans le premier tiers un véritable cours didactique de physique acoustique, enrichi d’un grand nombre d’exemples sonores synthétiques. Le commentaire explique et illustre de manière simple les principes de base de la physique acoustique : la célérité d’une onde dans l’air et dans l’eau, la propagation des fréquences hertziennes, le mécanisme d’enregistrement et de lecture du gramophone, la fréquence sonore, la forme d’onde… La deuxième partie du film se tient dans l’atelier de Rudolf Pfenninger et repose sur un entretien réalisé par le journaliste Helmuth Renar. Enfin, la dernière partie donne à voir et à entendre une application des principes énoncés dans l’entretien.

Le film présenté ici, en allemand, est totalement inédit

THE DAY THE EARTH STOOD STILL de Robert Wise (1951)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

Une des plus belles intégrations musicales, mêlant des instruments symphoniques traditionnels à ceux de la nouvelle lutherie se trouve sans doute dans le film devenu culte de Robert Wise, The Day The Earth Stood Still sorti en France sous le titre Le jour où la Terre s’arrêta. (1951). En effet, jamais film de science-fiction n’avait déployé pareille instrumentation. L’orchestre symphonique que Bernard Herrmann imagine pour cette partition offre des sonorités et des atmosphères totalement inouïes dans une partition cinématographique voire dans une partition tout court. Quatre pianos, quatre harpes, une trentaine de cuivres, un ensemble à corde traditionnel, un vibraphone, un orgue à tuyaux, voilà pour la formation instrumentale de base, une formation rehaussée par des instruments colorant l’orchestre de timbres tout à fait nouveaux et  cadrant avec le caractère science-fictionnel du film : un violon et une basse électrique, instruments tout juste inventés, et surtout deux theremins, un ténor et un alto, employés en tant qu’instruments solistes.
La première séquence du film, le survol de Washington, constitue un véritable hommage à La Guerre des mondes d’Orson Welles dont Robert Wise était le monteur, notamment par l’annonce à la radio et dans toutes les langues de l’arrivée de la soucoupe accompagné d’un effet sonore incomparable. Cette scène, suivie de l’atterrissage de la soucoupe volante, révèle d’emblée toute l’importance du son dans le film. Une trame sonore très riche, granuleuse en même temps que soufflée s’y déploie, occupant à elle seule tout l’espace sonore. A l’écoute, cette trame pourrait être constituée d’une sorte de tremolo de sons soufflés puis transformés, parasités ensuite par un élément rugueux qui complète le bruit de la navette.

On a souvent décelé dans le personnage pacifique de Klaatu l’extra terrestre une allégorie de la vie de Jésus-Christ venu délivrer son message de paix aux hommes. Malgré son pacifisme, « l’être venu du ciel » est traqué puis mis à mort. Sa résurrection s’opère dans le vaisseau spatial avec l’aide de son robot et d’un imposant appareillage sophistiqué. La matière sonore inventée pour simuler le bruit de l’équipement est constituée de sons concrets (grésillements électriques en tous genres) et de sons électroniques (fréquence tenue dans l’aigu et des impulsions électroniques balayant le spectre sonore à des vitesses croissantes). Cet équipement a pour effet de ramener lentement Klaatu à la vie. Après deux accords propres à l’univers de Bernard Herrmann – une figure de seconde mineure descendante jouée aux cuivres pianissimo en tension / détente – la musique se livre à un trio peu banal comprenant un violon électrique solo et un duo de theremins, ces derniers occupant la fonction harmonique sous le chant principal du violon à l’étrange sonorité.

Voici un article de Philippe Langlois paru en 2005 dans la revue Colonne sonore

EAR ON ARM de Stelarc (2007)

Les créations de Stelarc ou plutôt ses expérimentations se veulent aussi originales que modernes voire futuristes ! Entre science, technique et art, le dernier projet mené par Stelarc et révélé à l’occasion de l’Edinburgh International Science Festival, n’est pas passé inaperçu. L’Australien a fait sensation en dévoilant au public sa troisième oreille, implantée sur son avant-bras gauche !

 

Pour aller encore plus loin, lors de l’intervention chirurgicale, l’artiste avait également souhaité incorporer un micro dans sa nouvelle oreille : il voulait diffuser sur Internet ce que cette dernière entendait, le tout envoyé par le biais d’une connexion Bluetooth. L’idée était ingénieuse mais suite à une infection, le microphone a dû être retiré. Stelios Arcadiou explique son œuvre au New York Times» : «l’oreille traduit l’idée que nous pouvons maintenant fabriquer des organes additionnels, connectés à Internet, afin de mieux fonctionner avec le monde technologique dans lequel nous vivons

«C’est de l’architecture anatomique alternative. Je suis fasciné par l'évolution de l'anatomie du corps. Il ne s'agit pas de rendre le corps meilleur. Il n'y pas de désir eugénique. Mais plutôt d'expérimenter et d'explorer une anatomie alternative. Il s'agit de décider soit on accepte le statu quo biologique et évolutif, soit on s'interroge, même si le corps est merveilleusement complexe, même si cela a pris des millions d'années d'évolution, est-ce que le corps ne continue pas à dysfonctionner ? »

Site officiel de Stelarc : c'est ici

I’M SITTING IN A ROOM de Alvin Lucier (1969)

I am sitting in a room different from the one you are in now. I am recording the sound of my speaking voice and I am going to play it back into the room again and again until the resonant frequencies of the room reinforce themselves so that any semblance of my speech, with perhaps the exception of rhythm, is destroyed. What you will hear, then, are the natural resonant frequencies of the room articulated by speech. I regard this activity not so much as a demonstration of a physical fact, but more as a way to smooth out any irregularities my speech might have.



Traduction :

Je suis assis dans une pièce différente de celle où vous vous trouvez maintenant / Je suis en train d’enregistrer ma voix et je vais la jouer dans la pièce encore et encore / Jusqu’à ce que les fréquences dues à la résonance de la pièce se renforcent elles-mêmes / De cette façon, toutes ressemblances avec mon discours, sauf peut être son rythme, seront détruites / Ce que vous entendrez alors, seront les résonances naturelles de la pièce, articulées par ma voix / Je conçois cette activité pas tant comme la démonstration d’un phénomène physique / Mais plus comme un moyen de lisser toutes les imperfections que ma voix pourrait avoir.
(Alvin Lucier, "I am sitting in a room", 1970).


« Ce qui m’intéresse, c’est le mouvement que le son effectue de sa source jusqu’à l’espace, sa qualité tridimensionnelle. Parce que les ondes sonores doivent bien aller quelque part une fois qu’elles sont émises. Ce qu’elles deviennent alors m’intéresse au plus haut point ».


Alvin Lucier

BEETHOVEN TRUMPET (WITH EAR) op # 133 de John Baldessari (2007)

Résine, Fibre de verre, bronze, aluminium, et électronique
186 x 183 x 267 cm
Saatchi Gallery, Londres

"On m'avait demandé de faire une rétrospective en 2007 à Bonn avec toutes mes œuvres qui touchaient la musique. Bonn est la ville natale de Beethoven et j'ai visité sa maison. Il avait un cabinet tout entier de cornets acoustiques qu'il a utilisés. J'étais vraiment fasciné par eux comme des formes sculpturales, en particulier celui qu'il avait conçu lui-même que je trouvais très beau. Cela faisait peut-être quatre ou cinq ans que j'avais commencé à travailler sur des œuvres en lien avec les parties du corps notamment le nez et les oreilles, l'idée des oreilles étaient donc dans mon esprit. Et puis à l'un de ces moment où l'on est encore éveillé à trois heures du matin, tout à coup, j'ai pensé, 'attendez une minute – l'oreille / le cornet."

En se penchant dans l’instrument, et en claquant des doigts, le cornet se met à jouer du Beethoven.

Les cloches d’Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d’un art sonore

C’est à l’histoire des inventions sonores au cinéma que nous convie Philippe Langlois, au croisement de la technique, de la musique et du cinéma, dans le sillage des compositeurs et des cinéastes les plus inventifs.

Des dispositifs de sonorisation du cinéma muet aux manipulations du son qui découlent de l’usage de la piste optique, de la fiction aux films documentaires, du cinéma d’animation aux films expérimentaux, un champ ténu de convergence s’élabore où se dessine une forme de préhistoire des musiques électroacoustiques.

Ces expériences ne sont, d’ailleurs, pas sans influence sur la démarche de Pierre Schaeffer lorsqu’il invente la musique concrète et qu’il concrétise sa démarche au sein du GRMC et du Service de la Recherche de l’ORTF qu’il dirige jusqu’en 1975.

Après les années 50, les musiques électroacoustiques ne cessent de gagner une place de plus en plus importante jusqu’à se fondre totalement au sein du dispositif cinématographique et irriguer les principaux courants artistiques du cinéma expérimental et du cinéma d’auteur.

Une manière totalement neuve d’aborder l’histoire parallèle et Underground des musiques électroacoustiques au cinéma à l’issue d’un travail de recherche de plus de dix années.

 

éditions mf, collection répercussion

WATER WALK de John Cage (1959)

Dans cette vidéo, John Cage apparaît dans la très populaire émission de télévision I’ve Got A Secret, créée en 1952.

Le principe de ce jeu télévisé consiste en le fait d’inviter deux participants par émission, parfois en présence d’une star invitée. Chaque joueur est convié à faire deviner au public son « secret », après l’avoir chuchoté à l’oreille de l’animateur, alors qu’apparaît à destination des spectateurs télévisuels, en surimpression sur l’écran, la description du fameux « secret ». Le public est invité à deviner ce « secret », soit grâce ses propres questions, soit grâce à celles de l’animateur. Après quelques minutes, le joueur fait, dans la mesure du possible, la démonstration de ce « secret ».

John Cage, qui enseigne alors la Composition Expérimentale à la New School de NYC, annonce son secret : « I’m going to perform one of my musical composition… / The instruments I will use are : / a Water Pitcher / an Iron Pïpe, a Goose Call / a Bottle of Wine / an Electric Mixer / a Whistle / a Sprinkling Can / Ice Cubes / 2 Cimbals / a Mechanical Fish / a Quail Call / a Rubber Duck / a Tape Recorder / A Vase of Roses / a Selzer Siphon / 5 Radios / a Bathtub / and A GRAND PIANO. »

L’animateur, qui présente Cage comme « l’une des figures artistiques les plus controversées de son temps», propose alors de passer outre le jeu des questions-réponses et de lui offrir un instant télévisuel libre pour faire la « démonstration » de son travail de composition qu’il qualifie par erreur de « son expérimental ». Cage rectifie immédiatement en précisant : « musique expérimentale », avant de donner sa propre définition de la musique, réalisée à partir de « sons » produits par une série d’objets usuels – dont il va faire découvrir la musicalité au travers d’une interprétation de la pièce Water Walk.

La partition indique à l'exécutant une série d'actions à exécuter dans un temps donné, les chiffres indiqués au dessus des actions représentant les secondes.

Suit alors un magnifique manifeste de Cage sur la place du spectateur. L’animateur prévient : « peut-être que quelques auditeurs ne pourront supporter votre musique… Peut-être que certains riront même de vous». Et Cage de répliquer : « Pour moi, les rires sont comparables aux larmes ».
 

Texte de Christophe Kihm et Elie During initialement publié sur le blog de WFMU.