Depuis plus de 30 ans, Christian Marclay explore les liens entre le visuel et l’audible, créant des œuvres dans lesquelles ces deux expressions distinctes s’enrichissent et se confrontent l’une l’autre. Telephone (1995), l’un de ses premiers films, peut appartenir autant au cinéma de Found Footage qu’au cinéma structurel. Constitué à partir de prélèvement dans des films hollywoodiens, puisé dans toutes époques, mélangeant film en noir et blanc et couleur, dans tous les genres et les styles cinématographiques, du film policier au film noir, du drame romantique à la comédie, ce film opère par le montage une logique structurelle ayant pour objet la décomposition d’une action des plus anodine mais présente dans un nombre considérable de films : à savoir téléphoner.
Le film décompose donc l’action de téléphoner en autant de gestes qui la constitue : décrocher le combiné, composer le numéro, le téléphone qui sonne ensuite de part et d’autre du combiné, puis suit l’attente, celui du moment où l’interlocuteur décroche, suivi de la locution phatique inévitable « allo » sur tous les tons, dans tous les styles. Se succèdent ensuite les bribes de conversations, les silences et, pour finir, l’instant de raccrocher, multiplié par le montage, selon l’humeur de chacun des protagonistes qui se succèdent à l’écran. Le film s’achève comme il commence, c’est-à-dire dans une cabine téléphonique, sur le regard dubitatif d’une femme qui vient de raccrocher et semble s’interroger sur la portée de l’appel téléphonique qu’elle vient tout juste d’achever.
Dans le générique de Telephone, il est précisé que les supports utilisés proviennent du département Media Art du Centre Wexner pour les arts de l’Université de l’Ohio.
Telephone préfigure The Clock, (2011) film phare, de Christian Marclay récompensé du Lion d’or à la biennale de Venise, film hors norme d’une durée de 24 heures, constitué de près de 1 500 extraits de films, fondé sur le même principe que Telephone, à la différence qu’au lieu de disséquer une action dans la décompositions des gestes, chaque séquence comporte une indication de l’heure à l’intérieur de chaque plan. Lorsque The Clock est projeté dans un musée, peu importe la ville, dans le monde entier, le film est prévu pour être calé et synchronisé sur le fuseau horaire de l’endroit où il est projeté, créant ainsi pour le spectateur une confusion entre les différentes temporalités qui se télescopent devant ses yeux ; le temps à l’intérieur du film, la temporalité même du film, synchronisé avec l’heure où il regarde ce film en un pur moment de jubilation temporelle qui, en un instant, embrasse toute l’histoire du cinéma.