Robert Rauschenberg (Port Arthur, Etats-Unis, 1925), ORACLE, 1962 – 1965.
Tôle galvanisée, eau et son.
236 x 450 x 400 cm.
Billy Klüver, ingénieur du son, a installé le système électro-mécanique.
Don de M. et Mme Pierre Schlumberger en 1976 au musée d'art moderne Georges Pompidou.
Baignoire avec douche (178 x 115 x 60 cm), escalier (149 x 140 cm), montant de fenêtre (158 x 236 x 47 cm), portière de voiture (160 x 133 x 85 cm), tuyau (143 x 116 x 73 cm).
Dans les années 1950, Rauschenberg développe une pratique fondée sur le collage d'objets divers empruntés à différents domaines de l'expérience et de la culture. Réalisée en collaboration avec Billy Klüver, Oracle est une sculpture en cinq éléments constitués d'un assemblage d'objets de récupération (portière de voiture, conduits de ventilation, fenêtre, baignoire avec douche, escalier) appartenant au monde de la technologie quotidienne, auxquels est intégré un système de radios captant diverses émissions du lieu où est présenté la pièce. les cinq éléments ont chacun une structure et un fonctionnement particuliers. proches de certaines sculpture de Tinguely, cet environnement de machiner vivant leur vie propre est plus tragique que ludique. présentée en 1965 à la galerie Léo Castelli (NYC), cette oeuvre était conçue comme une oeuvre interactive : les spectateurs se mouvaient à l'intérieur des éléments et pouvaient modifier les programmes radio. Chacun des éléments comportent une batterie, un post-récepteur et un haut-parleur.
Oracle est une sculpture interactive. Les récepteurs balayaient les longueurs d'onde des radios New-yorkaises ; télécommandé par le spectateur, un moteur permettait de passer selon une vitesse variable d'une longueur d'onde à une autre, comme pour prendre au piège les messages sonores d'une ville. Les bruits de la métropole moderne constituent ici un matériau sonore dont le public, armé d'une télécommande, pouvait faire varier la vitesse.
Chaque morceau mobile de sculpture contient un moteur. Ce moteur déplace sans interruption le cadran d'une radio sur la bande AM. Le visiteur peut commander la vitesse du moteur et le niveau sonore de la radio dans chaque partie de la sculpture en tournant les boutons.
Ce projet est le résultat de trois ans de collaboration entre Rauschenberg et Billy Klüver.
L'œuvre a été présentée pour la première fois à la galerie Leo Castelli en 1965 et à l'exposition « The machine as seen at the end of the mechanical age » (« La machines considérée à la fin de l'ère mécanique ») organisée pas Pontus Hulten au musée d'art moderne de la ville de New-York.
Ici, la sculpture est composée de l'utile hors d'usage.
Dans cette œuvre, Robert Rauschenberg mêle art et technologie. Il ne voit pas la technologie comme une force à éviter ou l'influence de la déshumanisation de la société1. Pour lui, la technologie est la « nature contemporaine »2 et il représente souvent les interactions hommes / machines dans son travail. Pour lui, les problèmes environnementaux ou l'industrie militaire grandissante ne peuvent être résolus par à un retour à un mode de vie plus simple.
Les éléments qui composent l'installation sont autant d'objets de récupération (baignoire avec douche, escalier, montant de fenêtre, portière de voiture, conduits de ventilation), appartenant au monde de la « technologie quotidienne ». Des objets banales, quotidiens, sortis de leur contexte, soustraits au rôle socialement codifiés.
Ces objets « précaires » contrastent avec la technologie avancée de l'installation sonore conçue par Klüver.
L'esprit de collaboration marque le style de Robert Rauschenberg. Avec Klüver, il voit la participation du travail de l'ingénieur à celui de l'artiste comme la solution pour un monde plus humain.
Ainsi, il crée avec Klüver (ingénieur), Robert Whitman (artiste) et Fred Waldhauer (ingénieur) l'Experiments in Arts and Technologie (E.A.T.), une association permanente dans laquelle des artistes et des scientifiques mêlent leur travail sous le patronage industriel. L'organisme est destiné à orienter les recherches des artistes dans les nouvelles technologies.
Comme eux, les futuristes italiens, les constructivistes russes ou encore les artistes du Bauhaus s'étaient déjà tournés vers l'industrie pour exprimer leurs idées.
Rauschenberg commence à assembler les pièces pour Oracle dès le début 1962, pendant que Klüver crée le système sonore. Rauschenberg lui demande de concevoir un système contrôlable par le spectateur.
Klüver installe des radios dans chaque partie de la sculpture. Chaque radio capte des bribes d'émissions de toutes les radios de la bande A.M de New York (la F.M était trop « high-class » et « ésotérique » pour Rauschenberg.)3.
La collaboration entre Rauschenberg et Klüver pour Oracle aura duré trois ans.
Pour éviter de câbler entre les sculptures, un signal est émis depuis un panneau de contrôle central situé dans une des sculptures qui est relayé par un petit transmetteur et qui commande les autres.
Les objets, les mots, la musique se mêlent. Rauschenberg trouvait que « The waves of radio sound made the room a funhouse. »4 (« Le son des ondes radio remplissaient la pièce de joie »).
Alan Salomon écrivit : « Fives pieces in the round with sound. »5 Cela résumait bien la composition de l'assemblage.
Il faut rappeler l'influence décisive sur Rauschenberg de l'enseignement du compositeur John Cage au Black Montain College, son goût pour le mélange des catégories, l'ouverture de l'œuvre sur la vie. Ainsi, dès 1953, ses œuvres intègrent toutes sortes d'objets et de matières hétéroclites, n'appartenant pas au registre habituel de l'art. Ces montages où se mêlent objets trouvés (bouteilles, chaises, ficelle, etc.), déchets, matières naturelles et journaux, Robert Rauschenberg les nomme « Combine Paintings », c'est à dire des œuvres combinées qui évitent les catégories (peinture, sculpture, collage). Oracle est une transposition dans l'espace et le son des ses premières Combine Paintings.
Rauschenberg avait déjà utilisé trois radios dans sa Combine Painting de 1959 « Broadcast » et dans une série de peinture de 1960 desquelles émergeaient des sons que chaque spectateur pouvait contrôler. Il avait également conçu un « environnement sculptural » dans le labyrinthe du Stedlijk avec Tinguely et Niki de Saint Phalle, dans lequel il avait incorporé le son d'une pompe électrique qui envoyait de l'air dans un tube rempli d'eau et des horloges qui tournaient à des vitesses différentes.
En 1997, Experiments in Art and Technology fabrique et installe un nouveau système avec la participation financière de Robert Rauschenberg et en fait don au centre Georges Pompidou.
Pour Rauschenberg, Oracle représente l'aboutissement d'une recherche sur les collages sonores, destinés à entrer en contrepoints avec les collages visuels. Pour Jean-Yves Bosseur, Oracle permet de vivre et d'entendre la réalité dans ce qu'elle a de fondamentalement expérimentale. Pour lui, voir et entendre dans le présent rompt avec l'illusion artistique.6
Rauschenberg souhaitait créer une sculpture comme un orchestre dans laquelle le spectateur pouvait être le conducteur. Les radios diffusent une cacophonie continuellement changeante de sons issus du monde réel qui émanent de chaque pièce de la sculpture. Oracle ouvre un contact auditif avec la ville, il est un concentré de sa situation. L'œuvre est à la fois finie et non-finie, elle obéit à une programmation précise mais son programme est modulable et ouvert. L'ambiance feutrée du musée est rompue par une circulation d'eau et de sons. Cette association eau – son est troublante par le contraste établit entre l'émission d'une musique naturelle et celle d'une musique fabriquée.
Alan Salomon, dît alors qu'Oracle reflétait le sens de l'humour spécial de Rauschenberg ainsi que son hilarant sens de l'absurde juxtaposition.7
Un oracle dans le Littré est, chez les païens, la réponse de la divinité à ceux qui la consultaient ; elle se rendait dans les temples et autres lieux consacrés par la religion. La divinité même qui rendait des oracles. (Aller consulter l'oracle).
Ainsi, Oracle représentant la vie quotidienne (baignoire, fenêtre, tôle, etc. trouvés dans les rues de New-York) serait la divinité, ce en quoi nous croyons (en matériel, objets de consommation) qui plus est située dans le temple de l'art, le musée. Cette divinité moderne nous dévoilerait l'oracle, les bruits de la ville, la musique, la radio tel un message brouillé. Le son confère à l'œuvre ses caractères dramatique et drôle de plus que le spectateur peut lui même changer la fréquence de l'oracle. Le son fait ici partie intégrante de l'intention de Rauschenberg de mêler l'art et la vie. La vie quotidienne avec des objets et des sons quotidiens. On capte simultanément Alger, Paris, Budapest, Milan. Les radios nous rappellent la dimension universelle du sujet moderne : le monde est un collage hétéroclite de sons simultanés.
Les sons que l'on entend ne se reproduiront plus. L'Oracle est ici une divinité bien précaire, le sens qu'il délivre n'est jamais définitif, la vérité est un devenir perpétuel.
Proche de certaines machines de Tinguely (qui a également créé des sculpture radiophoniques), cet environnement de machines vivant de leur vie propre, interrogeant les relations de la Junk Culture et de la technologie, est cependant chez Rauschenberg plus tragique que ludique.
Anaïs Rolez
1KOTZ, 1990. P. 134.
2Ibid.
3Ibid.
4Cité in KOTZ, 1990. p. 135.
5Phrase écrite par Alan Salomon dans le carton d'invitation pour la première exposition d'Oracle à la galerie Leo Castelli de New York en 1965.
6BOSSEUR, 1998. P. 82.
7Cité in KOTZ, 1990. p. 135.