CRINOÏDOPHONE de Tanguy Clerc (2021)

On pourrait tout à fait croiser cette installation dans un cabinet de curiosité des temps futurs où serait conservé ce qui subsiste d’une mémoire cinématographique primitive.

Le crinoïdophone réalisé en collaboration avec Tristan Dubus, est une sculpture sonore réalisée à partir de matériau industriel de récupération. Reposant sur un piédestal métallique, dans une grande cloche en plexiglas emplie de liquide transparent éclairé, des lambeaux de bandes magnétiques récupérés dans des cassettes VHS sont suspendus et flottent dans le liquide. Par intermittence, de manière imprévisible, dans un mouvement discontinu de rotation, les morceaux de bandes magnétiques sont actionnés par un petit moteur dissimulé dans le haut de la cloche qui les fait tournoyer dans le liquide. En tournant, les fragments se frottent sur deux têtes de lecture de bande magnétiques immergées dans le liquide. Il en résulte des bribes de son, des fragments d’une mémoire cinématographique impossible à appréhender autrement que dans une sorte de tournoiement sonore fugace et fascinant.

Devant cette œuvre, le visiteur de ce cabinet de curiosité serait témoin de quelque chose qu’il ne pourrait même pas imaginer, l’état d’un art, de quelque chose, surgi une mémoire fragmentaire, incompréhensible et fugace.

Il y a quelque chose de la contemplation devant cette œuvre, de la magie, un temps du présent où l’on contemple et capte la magie des sons anciens, comme ces spécimens conservés et exposés dans du formol dans un musée d’histoire naturelle. Ce serait comme devant un diorama sonore, restituant ce qui reste d’un temps ancien, bribes et borborygmes d’une mémoire cinématographique disparue, dont il ne subsisterait que le souvenir des sons engloutis.

Voir le site de l’artiste : http://www.tanguyclerc.com/

SINGING CLOUD, Shilpa Gupta (2008-2009)

A l'heure de la dématérialisation des supports, du virtuel, et de l'immatérialité des données, l'artiste indienne Shilpa Gupta qui a suivi une formation en sculpure à l’école d’art Sir J. J. School (Mumbai, Inde) entre 1992 et 1997 réaffirme, non sans humour et une certaine forme d'ironie, la valeur la nécessité de l'objet concret dans son œuvre monumentale Singing Cloud (2009) présentée en 2009 au Laboratoire à Paris.

La « peau » de ce nuage (Cloud) suspendu est constituée d’un assemblage de 4000 microphones d'où émerge des éléments sonores. Réagissant à l’environnement, alternant sommeil et sursauts, cet essaim se transforme en une créature polyphonique, une forme de gigantesque œil de mouche d’où émanent à certains moments, une multitude de voix, de souvenirs et de langues. Nous sommes donc loin de la froideur technologique mais au plus près de l’irrationnel. La technologie est un médium, un matériau à manipuler, à agencer entre le son, l’image et la perception.

180 x 24 x 60 inches, 4000 microphones noirs, système de diffusion sonore, bande sonore multipiste (9')

SCANNER, Céleste Boursier-Mougenot (2006)

Pour la première fois en 2015, un artiste sonore représentera la France lors de la biennale de Venise. Cela dit avant même de s'être forgé un nom dans le milieu des plasticiens sonores, Céleste Bousier-Mougenot s'était d'abord illustré, de 1984 à 1995, en tant que musicien et compositeur pour la troupe de l'auteur et metteur en scène Pascal Rambert, Side One Posthume Theâtre.

Son approche, est celle d'un artiste assumant totalement ses origines musicales, prolongeant depuis vingt ans une réflexion autour d'une musique générative, qu'il qualifie lui même de "vivante" à travers des dispositifs et des situations à même de produire une musique en perpétuelle évolution grâce à des installations sonores qui procèdent, le plus souvent, du détournement d'objets usuels. 

A l'instar de Pendulum Music (1968) de Steve Reich où le phénomène du balancement de microphones au dessus de haut-parleurs, génère des feedback périodiques, il met lui aussi à profit cet effet également appelé "larsen" que les musiciens cherchent d'ordinaire à éviter, dans une version prototype de son installation Scanner présentée en 2006 au FRAC Champagne-Ardenne, à Reims.

Propulsé par un ventilateur posé à même le sol, un ballon d'hélium équipé d'un microphone sans fil, explore l'espace du lieu d'exposition venant en permanence moduler des larsens produits par huit haut-parleurs répartis sur les murs tout autour. De la variation des larsens modulés par le déplacement du ballon, il résulte une musique de l'espace, indéterminée, en perpétuelle recomposition, musique de l'instant pouvant s'inscrire dans la lignée des œuvres de John Cage et d'Alvin Lucier initiés dans les années 60. En outre le son du feed-back est lui même analysé en temps réel, synthétisé et rediffusé en direct par un processeur audio faisant varier en permanence son pitch (hauteur) et son timbre en fonction de son amplitude (volume). A la permanence du son du ventilateur s'ajoute les apparitions fragiles de la modulation des feedback  qui apparaissent et traversent de long en large l'espace d'exposition.

On retrouve cette même recherche d'une musique spatiale instantanée et vivante, par exemple dans nombre de ses installations qui mettent en scène des oiseaux qu'il imagine entre 1995 à 2007 dans les différentes version de From Here to Ear, ou encore dans Relais (2012) pour ruche et microphone, Index (2009) qui traduit en notes sur un piano MIDI (Musical Instrument Digital Interface), la saisie de mots dans un logiciel de traitement de texte,  Variation (2009) reprenant le principe de Scanner, cette fois-ci non plus dans l'air mais d'ans l'eau où s'entrechoquent des éléments en céramiques amplifiés qui flottent dans des piscines puis rediffusés dans l'espace d'exposition ou, pour finir Harmonichaos pour aspirateurs et harmonicas, etc.

Prototype, technique mixte, dimensions au sol 8 x 8 m, 2006
Ballon en latex gonflé à l’hélium,
microphone sans fil, système de traitement et
de diffusion audio multicanal, ventilateur.

PENDULUM MUSIC, Steve Reich (1968)

 

Pendulum Music est une pièce conçue pour 2, 3, 4 ou X microphones, amplificateurs, enceintes et exécutants.

Au milieu des années 60, a New York, les travaux d’artistes conceptuels tels que Sol Lewitt, Richard Serra,  Bruce Nauman et Michael Snow sont plus ou moins associés au courant du minimal art. Steve Reich représente, en quelque sorte, la figure musicale au sein de ce mouvement. Il expérimente alors à partir de l’agencement de dispositifs sonores électroacoustiques. A mi chemin entre l’installation sonore et la pièce musicale, Pendulum Music se situe donc dans la poursuite des travaux de Reich sur le déphasage de boucles de bande magnétique sur magnétophones comme, par exemple, dans Come Out (1966) ou It’s Gonna Rain (1967)

Pendulum Music fut présentée pour la première fois en 1969, lors d’une session d’été à l’Université du Colorado, intégré à un spectacle multimédia intitulé Over evident Falls en collaboration avec l’artiste peintre Bill Wiley. L’événement est relaté par Steve Reich comme « un Happening pensé à la va vite » dans une mise en scène où les spectateurs, assistent à l’événement au milieu d’une pluie de faux flocons de neige éclairée par des tubes de néon de lumière noire.
Une photo de la performance du 2 mai 1969 au Whitney Museum of American Art de New York, montre les artistes Richard Serra, James Tenney, Bruce Nauman et Michael Snow prêt à donner la première impulsion au  balancement des microphones.

Le principe sonore de la pièce est simple et repose sur le mouvement de balancement imprimé à des microphones suspendus au dessus d’enceintes provoquant un effet périodique de larsen.

Dans un lent processus de ralentissement, l’amplitude du balancement diminue, des effets de déphasage se produisent entre les différents microphones. La forme de la pièce se fond alors dans le lent processus qui est fonction de la durée des balancements des microphones jusqu’à la stabilisation au dessus des enceintes créant alors des effets de larsens continus. A la périodicité et au rythme du début de la pièce se substitue peu à peu des fréquences modulantes déplaçant l’écoute non plus sur le rythme mais sur le paramètre de la hauteur.

L’écoute se porte également sur le phénomène acoustique et les variations de plus en plus infimes de la structure du larsen lorsque les microphones oscillent lentement, proches de l’immobilisation. Pendulum Music s’inscrit aussi pleinement dans l’idée d’une œuvre poly-sensorielle se donnant autant à voir qu’à entendre, permettant à l’œil de percevoir les micro modulations de la matière sonore par le biais du mouvement de balancement des microphones.

La « partition » de l’œuvre, qui est en réalité un simple texte manuscrit de Reich, a été écrite en août 1968, et révisée en mai 1973 par le compositeur. Elle indique que les exécutants après avoir impulsé le premier mouvement au balancement des microphones doivent rejoindre l’assistance pour assister à son déroulement.

Voici deux versions de la pièce.

Reconstitution de la mythique pièce de Steve Reich à l’école des beaux Arts du Mans, le 21 novembre 2014 dans le cadre de mon cours : Histoire et théorie du sonore..
Interprètes : Pierre-Marie Blind, Léo Urriolabeitia, Koré Préaud, Tanguy Clerc, Arthur Chambry, Rémy Hertrich.

BOX WITH THE SOUND OF IT’S OWN MAKING, Robert Morris (1961)

Bois (24.8 x 24.8 x 24.8cm), haut parleur, durée 3h1/2.

Né en 1931, Robert Morris est considéré avec Donald Judd comme l'un des principaux théoriciens du minimalisme. Proche des compositeurs La Monte Young et John Cage, sa pièce Box with the Sound of its Own Making est à la fois un hommage au Ready Made de Marcel Duchamp tout en contribuant à développer l'idée d'une sculpture minimaliste dans le sillage du Process Art, rejetant toute approche romantique dans le processus de création artistique.
Robert Morris réalise cette œuvre en janvier 1961 à New York. La boîte est constituée de six pièces de bois reliées entre-elles pour former un cube parfait de 28 cm de côté.
Pendant les trois heures et demi que durent la construction de la boîte, Robert Morris procède à un enregistrement audio où sont prélevés l'intégralité des bruits de la construction : découpage à la scie, marteau, ponçage, déplacements de l'artiste dans son atelier, etc.
Dans son principe d'exposition, la boîte donne donc à entendre les sons de sa fabrication au spectateur grâce à un petit haut parleur situé à l'intérieur de la boîte qui permet de réactiver la création de l'œuvre en temps réel.
Dans le cercle artistique de Morris, la boîte est également perçue comme une forme de performance musicale. John Cage, visitant l'atelier de Morris considéra l'œuvre comme un concert privé, s'installant face à elle pour écouter l'intégralité de l'enregistrement.
Echappant à tout idée de classification artistique, Box with the Sound of its Own Making met en lumière les relations qui peuvent unir sculpture et musique, perception visuelle et acoustique, objet et processus créatif.

L'enregistrement ci-après est une simulation reconstitution réalisée par Kate Blacker.