SCANNER, Céleste Boursier-Mougenot (2006)

Pour la première fois en 2015, un artiste sonore représentera la France lors de la biennale de Venise. Cela dit avant même de s'être forgé un nom dans le milieu des plasticiens sonores, Céleste Bousier-Mougenot s'était d'abord illustré, de 1984 à 1995, en tant que musicien et compositeur pour la troupe de l'auteur et metteur en scène Pascal Rambert, Side One Posthume Theâtre.

Son approche, est celle d'un artiste assumant totalement ses origines musicales, prolongeant depuis vingt ans une réflexion autour d'une musique générative, qu'il qualifie lui même de "vivante" à travers des dispositifs et des situations à même de produire une musique en perpétuelle évolution grâce à des installations sonores qui procèdent, le plus souvent, du détournement d'objets usuels. 

A l'instar de Pendulum Music (1968) de Steve Reich où le phénomène du balancement de microphones au dessus de haut-parleurs, génère des feedback périodiques, il met lui aussi à profit cet effet également appelé "larsen" que les musiciens cherchent d'ordinaire à éviter, dans une version prototype de son installation Scanner présentée en 2006 au FRAC Champagne-Ardenne, à Reims.

Propulsé par un ventilateur posé à même le sol, un ballon d'hélium équipé d'un microphone sans fil, explore l'espace du lieu d'exposition venant en permanence moduler des larsens produits par huit haut-parleurs répartis sur les murs tout autour. De la variation des larsens modulés par le déplacement du ballon, il résulte une musique de l'espace, indéterminée, en perpétuelle recomposition, musique de l'instant pouvant s'inscrire dans la lignée des œuvres de John Cage et d'Alvin Lucier initiés dans les années 60. En outre le son du feed-back est lui même analysé en temps réel, synthétisé et rediffusé en direct par un processeur audio faisant varier en permanence son pitch (hauteur) et son timbre en fonction de son amplitude (volume). A la permanence du son du ventilateur s'ajoute les apparitions fragiles de la modulation des feedback  qui apparaissent et traversent de long en large l'espace d'exposition.

On retrouve cette même recherche d'une musique spatiale instantanée et vivante, par exemple dans nombre de ses installations qui mettent en scène des oiseaux qu'il imagine entre 1995 à 2007 dans les différentes version de From Here to Ear, ou encore dans Relais (2012) pour ruche et microphone, Index (2009) qui traduit en notes sur un piano MIDI (Musical Instrument Digital Interface), la saisie de mots dans un logiciel de traitement de texte,  Variation (2009) reprenant le principe de Scanner, cette fois-ci non plus dans l'air mais d'ans l'eau où s'entrechoquent des éléments en céramiques amplifiés qui flottent dans des piscines puis rediffusés dans l'espace d'exposition ou, pour finir Harmonichaos pour aspirateurs et harmonicas, etc.

Prototype, technique mixte, dimensions au sol 8 x 8 m, 2006
Ballon en latex gonflé à l’hélium,
microphone sans fil, système de traitement et
de diffusion audio multicanal, ventilateur.

THE WORKERS FUNERAL MARCH, Arseny Avraamov (1922)

La Marche funéraire des ouvriers a probablement été conçue comme une suite à la Symphonie des sirènes de Baku composée en 1922, pour le cinquième anniversaire de la révolution russe. Outre la chorale de ce chant qui est d’une facture  totalement conforme à la tradition musicale sacrée de la Russie orthodoxe, sa grande innovation réside dans le fait qu’en lieu et place de l’orchestre, ce sont les sirènes à l’échelle de toute la cité industrielle qui se sont substituées aux instruments de musique.

La mue de la Révolution s’est ici produite jusque dans la musique. Avraamov l’avait déjà célébré à Baku, puis à Nivni Novgorod et Moscou les années suivantes, cherchant à étendre les pupitres de à l’orchestre à la ville toute entière, faisant retentir sous ses ordres, canons, sirènes, cornes de brumes, sifflets à vapeurs des trains au milieu d’autres manifestations sonores détonantes. Cette fois-ci, à la place de la tradition séculaire des cloches des églises de l’ancienne religion orthodoxe, le glas funéraire est à présent donné par un son qui symbolise ce nouvel ordre sonore qu’une autre révolution, industrielle celle-là, a renversé puis remplacé par les sirènes des usines. Ces usines monumentales d’où l’on entend résonner les sirènes qui, désormais , rythment  le quotidien et la journée de tous les ouvriers.

La musique industrielle devient alors un formidable outils de la propagande soviétique.

Edgard Varèse avait certes déjà introduit la sirène au milieu de son orchestre notamment dans Amériques (1918-1921), puis dans Hyperprism (1923) et Ionisation (1933), elle se retrouve également dans le film Ballet Mécanique (1924) de Fernand Léger et Dudley Murphy sous la conduite musicale de George Antheil, mais avec cet exemple, dans un geste encore plus radical, Avraamov remplace tout l’orchestre par le son des sirènes pour accompagner ce chant choral funéraire.

Pour la mort de ses enfants, l’usine pleure donc aussi ses « fidèles », martyrs d’une autre sorte, mort pour la cause collectiviste, célébré au son des sirènes qui sonnent le glas des ouvriers morts au travail. Après tout, il est bien normal dans un monde où « le plan », le soviétisme et le stakhanovisme ont supplanté la religion, que la musique funéraire de ces ouvriers soit interprétée par l’usine elle-même.

Avec cet exemple,qui illustre l’un des plus purs produits du futurisme et du constructivisme russe, nous touchons, à la notion d’une musique prolétarienne qui, évidemment, s’oppose le plus radicalement possible à la musique bourgeoise de salon.

Dans le même temps, la musique sort de l’espace confiné de la salle de concert, pour investir un autre espace, bien plus vaste, qui se comprend maintenant à l’échelle de tout l’espace urbain et industriel.

Il faut imaginer cette scène où la chorale est disposé au centre d’une place et interprète ce chant religieux entouré par le son des sirènes qui résonne de part et d’autre de toute la ville aux alentours.

En voici une reconstitution sonore de Leopoldo Amigo et  Miguel Molina paru en 2008 dans l’indispensable coffret Baku Symphony of Sirens, qui regroupe reconstitution sonore et archives d’époque de l’avant garde russe.

Retrouvez d’autres informations sur le site Monoscop qui regroupe de nombreuses informations sur Arseny Avraamov.

JACK ELLITT, pionnier de la synthèse optique

Jack Ellitt, le compositeur attitré du célèbre cinéaste d’animation Len Lye, travaille également sur le son optique dans les années 30. Il ne reste malheureusement que peu de témoignages sur les travaux de ce chercheur passionné par l’idée de « construction sonore » et de « sons électro-acoustiques ».

Sur le site de Shame Film Music, spécialisé dans les compositeurs expérimentaux australiens, on retrouve les tous premiers enregistrements de Jack Elit dont une symphonie de ville primitive qui remonte au début des années 30.

Ainsi que quelques essais de sons optiques directement dessinés sur la pellicule mêlés à des sons concrets ce qui fait de cet exemple l'un des exemples les plus anciens de musique électroacoustique primitive en 1931.

 

POEME SYMPHONIQUE POUR 100 METRONOMES (1962) de Gyorgy Ligeti

Même si le métronome est un appareil que tout musicien possède pour travailler son instrument, il n'est pas, à proprement parler, un instrument de musique. Aussi, lorsqu'en 1963, le compositeur hongrois Gyorgy Ligeti crée son Poème symphonique pour 100 métronomes, à Hilversum (Pays Bas), sous sa propre direction, il déclenche un véritable scandale.
Très proche de George Maciunas et Nam June Paik, Ligeti gravite alors dans le sillage du mouvement Fluxus dont on sent toute l'influence dans cette pièce musicale qui relève autant de la musique expérimentale que de l'installation plastique.
Le métronome qui, d'ordinaire, symbolise la rigueur musicale extrême se mue ici en un chaos rythmique que le réglage des cent métronomes à des vitesses différentes ne fait que renforcer. Une oeuvre dont le déroulement permet néanmoins de retourner à la fonction première du métronome lorsque, au terme de la pièce  – qui dure vingt minutes environ  – il ne demeure plus qu'un seul métronome en action.

 ″Les cent métronomes, que l'on laisse battre jusqu'à épuisement, dévidant leur mécanisme de façon simultanée mais à des vitesses différentes, produisent un nuage sonore dont le ″grand diminuendo rythmique″ s'impose comme le ″premier exemple de musique minimale″ (Ligeti) […] ″.

Comme dans les pièces instrumentales de Ligeti, cette oeuvre constitue une expérience sur la matière sonore, en l'occurrence rythmique, exploitant l'idée de modification lente d'un paysage sonore.

Dans la partition, Ligeti indique que l'exécution de la pièce nécessite dix exécutants sous la direction d'un chef d'orchestre pour remonter au maximum le ressort des métronomes et régler les vitesses comme indiquée sur la partition. Au signal du chef, les cent métronomes sont actionnés simultanément. C'est alors, seulement, que le public est invité à pénétrer dans la salle de concert pour s'installer alors que les métronomes s'arrêtent les uns après les autres.

En 1995, le sculpteur Gilles Lacombe, très impressionné par l'écoute de cette œuvre imagine un dispositif qu'il met six mois à concevoir et qui en simplifie considérablement l'exécution grâce à un mécanisme qui démarre simultanément les cent métronomes . C'est avec ce dispositif qu'est présenté ici cette version du Poème symphonique pour cent métronomes, diffusée dans l'émission de création télévisuelle d'Arte, Die Nacht, produite par Paul Ouazan.

Poème symphonique pour cent métronomes (1962)
Création : le 13 septembre 1963, à Hilversum (Pays-Bas), sous la direction du compositeur.

Editeur : Schott
 

ARTIKULATION de Gyorgy Ligeti

En 1957-58, Gyorgy Ligeti est invité au Studio de musique électronique de Cologne pour y composer une œuvre purement électronique qui s'intitule Artikulation, titre qu'il faut comprendre en tant qu'articulation d'un langage cybernétique imaginaire à travers la forme du dialogue.

En 1970, Rainer Wehninger réalise la "partition d'écoute" de cette oeuvre et livre dans la notice les procédés suivis par le compositeur pour réaliser cette pièce anthologique.

Notice originale traduite ici de manière totalement inédite Artikulation traduction française

Consulter la Nomenclature électronique de la partition.


Edition SHOTT 6378

PHONAUTOGRAPHE, de Léon Scott de Martainville (1853)

En 1853-54, Léon Scott de Martainville parvient à réaliser les premiers enregistrements sonores, à l'aide du Phonautographe, un appareil qui enregistre le son sans toutefois en permettre la relecture. Le dispositif se compose d'un pavillon relié à un diaphragme qui recueille les vibrations acoustiques, celles-ci étant transmises à un stylet qui les grave sur une feuille de papier enroulée autour d'un cylindre rotatif et enduite de noir de fumée.

Une équipe de chercheurs américains possédant les plaques enregistrées de Scott de Martainville a entrepris de les restituer avec l'aide de l'ordinateur.

Ce court enregistrement qui date de 1860,  comporte le début de la chanson Au clair de la lune vraissemblablement  exécuté par Martainville lui-même. 

Au Clair de la Lune–French folk song (1860 Phonautogram)