Le musée du son est un projet de musée nomade, sans mur, en dehors d’un double mur du son qui s’est mu en murmures :“…
C’est un lieu virtuel qui regroupe un large éventail d’œuvres qui appartiennent au champ des arts plastiques sonores : sculptures, installations, art sonore, performances, audiovisuel, radio, cinéma, vidéo, poésie sonore, Sound Landscape, œuvres interactives…
Le Tempestaire est le fruit d’une collaboration étroite entre un réalisateur, Jean Epstein et un compositeur, Yves Baudrier. Ce film constitue une symbiose audiovisuelle exceptionnelle. L’étude du Tempestaire s’avère capitale dans la perspective d’une recherche portant sur l’émergence des musiques électroacoustiques au cinéma car l’inventivité et l’originalité des procédés acoustiques qui y sont déployées ouvrent vers une nouvelle esthétique voire une nouvelle poétique du sonore et du musical. Par ailleurs, ce film est également l’un des jalons essentiels dans la préhistoire des procédés électroacoustiques qui conduisent à la naissance de la musique concrète.
La trame de Lumière d’été oppose deux mondes qui s’affrontent. Le monde de la bourgeoisie, de l’oisiveté et de l’envie, incarné par la plupart des personnages qui se prélassent dans un hôtel grand luxe, et le monde du travail, celui des ouvriers construisant non loin de là un barrage.
Grémillon personnifie le barrage, là où le film se clôt dans l’affrontement des deux mondes. Pour cela, il enregistre plus de deux cents sons industriels, dans des usines, sur des chantiers pour assembler une véritable composition bruitiste afin de donner « une image sonore plus riche que le son brut ».
Cette séquence sera remarquée par Pierre Schaeffer en 1946 pour sa remarquable musicalité des bruits avant même l'invention de la musique concrète.
La séquence finale du sauvetage combine, là encore une inventive intégration de tous les éléments qui constituent la bande sonore du film.
La bande son de Remorques est remarquable à plusieurs titre au niveau de l'intégration des différents paramètres sonores : musique, bruits et paroles comme dans la scène de la tempête située au début du film.
« Le rythme est donné par la bande-son qui combine le souffle de la tempête et une musique orchestrale « off » (…) puis la musique disparaît pour laisser place aux bruits du bateau, suivent alors trente deux plans de plus en plus courts de pistons qui montent et descendent, sur un crescendo très rythmé de bruits qui illustrent l’accélération de l’allure du remorqueur (…) Le passage d’une image à une autre obéit au rythme de la musique ce qui donne l’impression d’une harmonie parfaite entre le monde mécanique et le monde humain ».
L’exemple le plus abouti de cette fusion des éléments sonores se situe très vraisemblablement dans la scène finale de Remorques, où se mélangent quatre éléments La litanie du chant des trépassés, en chœur parlé, la musique de Claude Roland-Manuel, (fondée sur la scansion vocale), les hurlements du vent de la tempête et, pour conclure le film, la voix de Jean Gabin qui annonce le départ du remorqueur (synchronisée avec le dernier vers du chœur sur le mot « solitude »).
Dans le documentaire britannique de Basil Wright intitulé Song of Ceylon (1934), il est possible de rencontrer plusieurs effets sonores très intéressants tant sur le plan technique que dialectique. Song of Ceylon est, au départ, une commande du Ceylon Tea Propaganda Board destiné à relancer le marché du thé en Grande Bretagne ; heureusement, Basil Wright a su pousser l’idée beaucoup plus loin que l’objectif initial.
Quand Basil Wright intitule la troisième partie de Song of Ceylon : Les voix du marché, il ne fait point référence à la ferveur vocale qui anime traditionnellement les marchés indiens. C’est en fait de commerce international dont il est question et plus particulièrement de communications entre les comptoirs indiens et les grossistes de la métropole. Les messages sont envoyés en morse par télégraphe et concernent les commandes de produits indiens passées par les Etats auprès de leurs différents comptoirs. Les voix s’enchevêtrent dans toutes les langues, français, anglais, allemand, mélangées avec les sons du télégraphe, le bip-bip du morse et les sonneries de téléphone formant une tour de Babel sonore. La vitesse du montage, la modernité de ces moyens de communication ainsi que la superposition des bruits et des voix sont autant de propositions pour l’oreille qui créent un contraste saisissant avec la vie tranquille des insulaires.
L’aspect religieux occupe une place très importante dans la vie des habitants de Ceylan. Quotidiennement, les prières du lever et du coucher du soleil, les rites d’offrande aux dieux et la pratique de la danse rituelle rythment la vie des insulaires. C’est ce thème qui domine dans la dernière partie de Song of Ceylon où un petit groupe de danseurs se livre aux danses sacrées du Kathakali, danse rituelle d’Inde du sud – dans le Kerala – qui, dans le film, conduit à un état extatique.
Basil Wright filme les danseurs en plaçant sa caméra au centre du cercle qu’ils forment. Les mouvements rapides de caméra en panoramique et en fondus enchaînés symbolisent la sensation de tournis qui envahit chacun des danseurs. Pour seconder cette action, un grondement sourd apparaît très doucement, avant de s’amplifier et de prendre le pas sur les rythmes et les chants du kathakali, pour finalement remplir tout l’espace sonore. Il s’agit là d’un travail effectué à partir d’un instrument éminemment sacré dans notre tradition occidentale : la cloche.
une vidéo intégrale de ce film est disponible sur le site américain Internet Archive
De nombreux exemples attestent de cette intégration des bruits à la musique comme par exemple les bruits de la nature et du tracteur qui fusionnent avec la musique de Jean Yatove après le générique de Jour de fête (1948) de Jacques Tati – après le remontage sonore de 1961 sur bande magnétique.
Les bruits rompent alors la frontière qui les sépare du monde réel pour se fondre insidieusement dans la musique. On retrouve cette idée à travers le son des vérins créant à lui tout seul la base rythmique de la musique dans la salle des machines du paquebot qui mène Fred Astaire en Europe dans Shall we Dance – L’entreprenant Monsieur Petrov – (1937) de Mark Sandrich, où « les bruits de machine d’un paquebot, de ses bielles et de ses pistons, deviennent, savamment recréés puis montés et organisés, une véritable musique concrète sur laquelle Fred Astaire, danseur classique russe gagné par le jazz, superpose le son de ses claquettes. Ce morceau de bruits rythmés est d’ailleurs incrusté, comme un solo de percussions, entre les refrains, joués et chantés de manière plus classique d’une chanson de Gershwin ».
Dans Summerstock (1950) de Charles Walters, sorti en France sous deux titres : La Jolie Fermière ou La vallée heureuse, c’est le grincement d’une latte de bois et le son d’une feuille de papier journal sur le sol qui deviennent un véritable accompagnement rythmique sous les pas de Gene Kelly.
L’idée de transformation et de double domine dans la mise en scène de ce film et cette option prise depuis l’écriture du scénario guide également tout le travail sur le son, y compris dans le choix des musiques. Dès le générique, il est question de transformer une musique « sacrée » en une musique « profane » : La toccata et fugue en ré mineur de Jean Sébastien Bach, que nous avons l’habitude d’entendre à l’orgue est transcrite pour ensemble symphonique.
Par contraste et pour établir le lien avec cette composition, le plan qui ouvre le film est un panoramique vertical sur des tuyaux d’orgue. Le plan s’achève par des mains jouant sur le clavier. Un Choral de Bach retentit avec cette fois le son de l’instrument sacré. En caméra subjective, sur le pupitre de l’orgue où repose la partition se dessine l’ombre du docteur Jekyll. Nous sommes ici déjà en présence de son double. Le dialogue qui suit avec son valet nous révèle que Jekyll doit sortir. Il suit son valet qui lui donne son manteau – toujours en caméra subjective dans la peau de Jekyll. Nous découvrons alors pour la première fois son visage : Fredric March, qui interprète le rôle titre, se tient devant un miroir pour ajuster son habit. Encore une fois, il s’agit d’une image reflétée, d’un double. Cette ouverture tant soignée sur le plan de la composition visuelle et musicale ne constitue que le prélude à la révélation du double.
La séquence de la métamorphose se déroule évidemment devant un miroir. Pour l’accompagner et la doter d’une totale cohérence audiovisuelle, Mamoulian souhaite obtenir une sonorité inouïe. En mélangeant le son organique des battements du cœur, auquel il ajoute d’autres sons qui viennent parasiter la sonorité initiale, Mamoulian exprime la souffrance de son personnage qui abandonne sans le savoir l’apparence humaine pour laisser libre court à son double bestial. Autrement dit, c’est par le traitement du son que le metteur en scène représente l’abandon de la réalité sonore.
« Pour accompagner la transformation, je voulais un son complètement irréel. Au départ, je souhaitais une pulsation, comme des battements de cœur. Nous avons donc essayé toutes sortes de percussions mais elles sonnaient toutes comme des percussions. Puis, j’ai enregistré mon propre cœur, c’était parfait, merveilleux. Nous avons ensuite enregistré un gong, nous en avons retiré l’impact pour pouvoir renverser la résonance. Finalement, nous avons peint directement sur la piste optique et je crois que c’était la première fois que quelqu’un utilisait le son synthétique de cette manière, en travaillant à partir de la lumière du son ».
L’inversion des phénomènes acoustiques est très souvent mise à profit pour signifier un climat d’étrangeté. Utiliser la rétrogradation musicale permet aussi au compositeur d’instiller quasiment à l’insu de l’auditeur une dimension « sur-réelle ». C’est précisément ce qui est à l’œuvre dans la partition de Miklos Rozsa pour Secret Beyond The Door – Le secret derrière la porte – (1948) de Fritz Lang dont le scénario emprunte plusieurs ingrédients propres à Rebecca ou Suspicion d’Alfred Hitchcock. Après s’être mariée à un homme qu’elle connaît à peine, Célia découvre que son mari est passionné par les chambres où des crimes ont été commis. Dévoré par cette passion morbide, il reconstitue et collectionne ces chambres dans sa propre demeure. Célia comprend quel sort l’attend, lorsqu’elle découvre avec stupeur la réplique exacte de sa propre chambre parmi la collection privée de son mari. L’utilisation de la partition rétrograde intervient au moment précis où elle ressort pétrifiée après cette découverte.
Trois ans plus tôt, en 1934, une autre expérience de partition rétrograde est tentée dans l’impressionnante piste sonore de Rapt de Dimitri Kirsanoff sur une musique conjointement composée par Arthur Honneger et Arthur Hoérée. Parmi les nombreuses « particularités sonores du film Rapt », qui en font probablement le film le plus inventifs au niveau de l'impressionnant travail de la bande son, l’emploi de ce procédé illustre cette fois-ci l’indécision d’un homme devant un vaste dilemme.
Pour représenter le rêve éveillé de cet homme, Arthur Honegger et Arthur Hoérée utilisent le procédé musical inauguré par Roland-Manuel en 1929. La sonorité irréelle et indéterminée de la musique rétrograde établit une fois encore le lien avec l’intériorité du personnage. Mêlée au tic-tac d’une horloge qui marque le temps qui passe et qui presse, ainsi qu’à la « voix-off » de l’homme qui pense tout haut, la musique baigne dans un halo sonore, une aspiration, un effet musical qui l’entraîne un peu plus dans son indécision. L’emploi d’un tel procédé est également une manière de rendre perceptible, le possible renversement de la vie de Firmin, l’inconnu de l’avenir.
Pour réaliser la séquence de l’orage, une panoplie d’effets sonores est nécessaire afin d’une part, d’en renforcer la violence et d’autre part, d’associer cette violence à la scène montée en parallèle, celle du baiser que Firmin arrache à Elsi. Le traitement du son dans cette scène ne se limite pas à l’intervention de la synthèse optique. Le numéro spécial de la Revue Musicale de décembre 1934 s’en fait l’écho de la main des auteurs :
« Pour établir l’orage, nous avons demandé à l’orchestre d’improviser, suivant nos indications, des fragments bien déterminés : orage lointain, orage moyen, orage déchaîné. Avec ces dix mètres de pellicule nous avons pu construire, parallèlement à l’action, un orage complet (plus de cent mètres), reproduisant tel effet, coupant tel autre, montant tantôt à l’endroit, tantôt à l’envers le grondement du tonnerre qui, de ce fait, s’approche, s’éloigne (…). Les raccords de ces divers fragments ont été faits au moyen du son synthétique, c’est-à-dire en dessinant à même la pellicule les vibrations susceptibles d’enchaîner les sonorités différentes ».
Le résultat de cette composition restitue avec l’image une authentique sensation audiovisuelle de violence. Les envolées d’ondes Martenot, les éclats de lumières se mêlent aux sons synthétiques mélangés avec les flux sonores incertains de la texture orchestrale pour créer l’une des expériences sonores des plus hardies, un exemple d’abstraction sonore comme jamais le cinéma ne l’avait engendrée auparavant. Les sons déchirants et artificiels des éclairs viennent ponctuer les dialogues dans cette séquence, nœud dramatique où se joue le drame final. Au temps des pionniers du cinéma sonore, il est pour le moins curieux de rencontrer un tel degré d’élaboration de la matière sonore dans un film de 1933.