Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.
En 1936, Basil Wright et Harry Watt réalisent le documentaire d’entreprise Night Mail à la demande de l’Office Général des Postes pour montrer le travail nécessaire à l’acheminement du courrier en Angleterre. Six millions de km parcourus et 500 millions de lettres distribuées chaque année, telle est la mission que doivent accomplir les trains postaux qui sillonnent le pays. Night Mail retrace donc le parcours d’un de ces trains qui relient Londres et Glasgow tous les jours hiver comme été.
Pour réaliser ce documentaire Basil Wright et Harry Watt ont constitué une équipe exceptionnelle : Le poète Wystan Hugh Auden pour écrire le commentaire, le compositeur Benjamin Britten pour écrire la musique.
Dès le générique, la musique plonge le spectateur dans l’univers d’une aventure merveilleuse grâce à l’emploi d’une section de cuivres, de violons frémissant et d’une petite fanfare qui se déploie sur deux notes. Rapidement ces deux notes s’accélèrent imitant le bruit des essieux du trains qui s’ébranle pour se transformer aux cordes en une courte mélodie très vive jouée en boucle.
C’est l’ensemble du film qui suit ce modèle d’accélération jusqu’à ce que le train arrive dans le nord de l’Ecosse, la dernière partie de son voyage. Dans cette séquence finale nous assistons à une tentative absolument réussie d’unir étroitement l’image, la musique et le commentaire poétique d’Auden. Chaque vers du poème reflète ce que l’on peut voir à l’image, la traversée des marais, les jets de vapeur blanche, les champs mécaniques et les fours des industries.
Lorsque la musique change de tonalité, l’image lui répond avec un nouveau paysage moins accidenté et un autre éclairage à l’approche de l’aube. Le montage et la diction du texte se fonde alors sur l’accélération de la musique, plan de bielles, d’essieux, d’aiguillage, rails et la bande sonore devient un véritable un clip et un rap avant l’heure, signé Benjamin Britten et Wistan Hugh Auden. Ce montage culmine avant l’arrêt du train en gare d’Aberdeen sur les derniers accents triomphant de la musique. Une oeuvre qui peut surprendre au regard de sa date de composition : 1936 !