Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

La première expérience des ondes Martenot au cinéma remonte à 1930 dans le film d’Abel Gance, La fin du monde au générique duquel figure le nom de Walter Ruttmann à la direction artistique. La musique originale, signée Arthur Honegger, montre la volonté d’intégrer de nouveaux moyens de production sonore à travers l’emploi des « ondes musicales ».
le scénario de La fin du monde repose sur une intrigue simple mais efficace, celle d’un savant qui découvre que la trajectoire d’une comète va croiser l’orbite de la Terre. La fin du monde est proche. La comète ne fait finalement qu’effleurer la planète. Cela dit, avant de découvrir sa trajectoire finale, la population, se croyant perdue, célèbre les derniers instants de la vie dans une monumentale orgie. Jean Laurendeau, biographe de Maurice Martenot, relate que dans cette séquence, « le cinéaste et génial innovateur Abel Gance souhaitait utiliser l’instrument de Maurice Martenot pour une scène de panique dans son film La fin du monde. La famille Martenot lui envoya Olga Bilstin, fille de Youri confiée par lui à Madeleine (Martenot) pendant un de ses voyages aux Etats-Unis. Olga n’était pas ondiste. Mais on lui demanderait seulement de simuler, avec le jeu des rubans propre à l’instrument, les sifflements du vent. Pas besoin pour cela d’être allée au conservatoire. A son retour des studios de tournage, elle raconta ceci : 90 figurants avaient été prévenus qu’on leur dirait quoi faire au moment opportun ; ils ne savaient rien d’autre. Ce moment arrivé, une véritable pluie accompagnée de trombes d’eau se déclencha avec la complicité des pompiers de Paris. C’est ici qu’Olga entrait en jeu pour sonoriser le vent et l’épouvante. Abel Gance, lui, se contentait de filmer l’affolement général « spontané » qui en résulta… – Cette dernière anecdote fait partie des souvenirs de Madeleine Martenot ». « Pour une raison non élucidée, c’est finalement Maurice Martenot qui joue dans le film. Il est lui-même dans l’image : on l’aperçoit brièvement, manipulant son jeu à distance, au beau milieu d’une scène d’orgie, un peu anachronique dans un tel entourage, bien concentré sur son travail, alors que se déclenchent les cataclysmes prévus par Abel Gance ».

Malgré la présence de Maurice Martenot et de son instrument sur l’écran, (3’07) ce plan passe quasiment inaperçu à la projection du film. Seule une vision attentive et prévenue permet l’observation de cette prestation insolite. En premier lieu, voir un homme se tenir à distance d’un meuble en bougeant son bras dans le vide, d’avant en arrière, est loin d’évoquer le geste traditionnel du musicien jouant de son instrument. Spécifions que les ondes Martenot utilisées pour le film en 1929, le sont dans leur deuxième version, c’est-à-dire que les variations de hauteur sont effectuées le long d’un fil de fer, guidées par le mouvement des doigts de l’exécutant – le fil est invisible à l’image.

Il faut noter également, à deux reprises, la technique de l’accélération de vitesse du son pour styliser le langage d’une peuplade africaine qui panique à l’approche de la comète (1’10).