RESMUSICA, de Michèle Tosi, 2 avril 2013

Les cloches d’Atlantis de Philippe Langlois

Sous ce titre bien sonnant – qui fait directement référence au film expérimental de Ian Hugo, Bells of Atlantis de 1951 – Philippe Langlois retrace l’histoire des inventions sonores au cinéma, de ses origines, avec le cinématographe futuriste des années 1910, jusqu’au cinéma expérimental des vingt dernières années faisant appel au dispositif sonore électroacoustique: une trajectoire d’un siècle qui met en lumière, et en résonance, les rapports qu’entretient le cinéma avec les technologies du son.
S’élabore ainsi une pré-histoire des musiques électroacoustiques dans le sillage de nombre de « trouveurs » géniaux (Luigi Russolo, Dziga Vertov, les frères Whitney, … ) et leurs inventions, décisives pour la sonorisation de l’image, comme la synthèse optique ou la musique concrète.

Dans deux chapitres connexes, « Musique concrète et cinéma » et « Le service de la recherche », Philippe Langlois revient sur la personnalité de Pierre Schaeffer et sur sa pensée de l’image, « aventure essentielle pour saisir l’envergure du parcours intellectuel de ce chercheur en art-média » précise l’auteur. Après le Studio d’Essai de la rue de l’Université, Pierre Schaeffer est nommé, dans les locaux de la RTF, à la tête du Service de la Recherche qu’il dirigera de 1960 à 1974. On a recensé durant ces 14 années 114 films conçus en collaboration avec les compositeurs du GRM (Pierre Schaeffer, François Bayle, Bernard Parmegiani, Luc Ferrari, Robert Cohen-Solal, Ivo Malec, Pierre Henry…) dont Philippe Langlois sélectionne les productions les plus importantes bien que souvent fort peu connues. Après 1950, et à côté du cinéma d’auteur (Alain Robbe-Grillet et sa collaboration avec Michel Fano, Tarkovski/Artemiev…) c’est le cinéma fantastique et de science-fiction (aux Etats-Unis notamment avec Ian Hugo, Fred McLeod Wilcox, Arthur Hilton…) et le cinéma expérimental (Found Footage), en marge des circuits commerciaux, qui développent les moyens d’une nouvelle lutherie électronique et se rapprochent étroitement de la pratique musicale électroacoustique.

Sous sa plume passionnée et au terme d’un travail de recherche de plus de dix ans qui nourrit cette somme impressionnante, Philippe Langlois révèle un pan de l’Histoire de la Musique et du Cinéma tout à fait inédit dont on peut prolonger la découverte par le biais du site internet lesclochesdatlantis.com où de nombreux extraits vidéo, sonores et iconographiques viennent illustrer le propos et ancrer cette étude dans un univers de création extrêmement fécond.

http://www.resmusica.com/2013/04/02/les-cloches-datlantis-de-philippe-langlois/

MUSICOLOGIE.ORG, de Jean Marc Warszawski (nov 2012)

Article de Jean Marc Warszawski sur le site Musicologie.org


Philippe Langlois

Les cloches d'Atlantis

Langlois Philippe, Les cloches d'Atlantis. Musique électroacoustique et cinéma. Archéologie et histoire d'un art sonore. « Répercussions », Éditions MF, Paris 2012 [504 p. ; ISBN 978-2-9157-9455-7 ; 26 €]
On s'en doute, on sait même que la question de la musique de cinéma est une importante question de musique. Pour Philippe Langlois, le cinéma est un creuset musical, le creuset de la musique électroacoustique. Il le montre dans une somme érudite, pensante, pédagogique.
S'ils furent muets, les premiers films, dès leur première image n'ont jamais été silencieux, ils étaient accompagnés, du piano au grand orchestre, et ont pu être des terrains d'apprentissage et d'expériences pour les compositeurs.
Mais les artisans de cet art technologique ont depuis le début été attirés par les nouvelles lutheries, comme le thérémine où les ondes Martenot, ils ont également cherché à donner du son aux images. D'où le titre du livre, faisant référence au film de Ian Hugo de 1951, pour lequel Bebe et Louis Barron ont réalisé la première musique uniquement composée de sons électroniques.
Les Cloches d'Atlantis est un usuel d'histoire obligatoire, qui passionne par ses analyses et réflexions sur les interractions entre images et sons, une recherche de relations organiques structurelles, dans les techniques même de production et d'enregistrement, au-delà de l'illustration décorative.
L'auteur, musicologue, est aussi un homme de terrain qui réalise des intallations sonores, pour le cinéma, le cinéma, la radion, où il a coordonné l'Atelier de création radiophonique de France Culture.
Ce livre est accompagné d'un site Internet, Les cloches d'Atlantis.
jmw
 

MEDIAPART, 6 novembre 2012


Les cloches d'Atlantis, sous-titré Musique électroacoustique et cinéma et Archéologie et histoire d’un art sonore, fait partie de ces ouvrages rares et indispensables pour quiconque s'intéresse au son et plus encore à son rapport à l'image. Le livre de Philippe Langlois comble un vide que ceux de Michel Chion n'ont fait qu'effleurer d'une mainmise exagérée sur le sujet. L'écriture est claire, les exemples concrets, la quantité généreuse et les pistes multiples, même si j'ai noté ici et là quelques erreurs, approximations ou omissions malheureuses, mais quelle encyclopédie y échappe ? Ajoutez un site Internet avec plus d'une soixantaine d'extraits de films relatés dans ces 480 pages, quelques extraits sonores et vous pouvez compter sur cette somme comme sur Le traité des objets musicaux de Pierre Schaeffer, Acoustique et musique de Émile Leipp, Praxis du cinéma de Noël Burch, les écrits d'Edgard Varèse, Arnold Schönberg ou Jean Epstein, sans oublier le CD-Rom d'Olivier Koechlin sur La musique électroacoustique et quelques autres incontournables vers lesquels vous reviendrez tout au long de votre vie !

Un autre ouvrage reste néanmoins à écrire, car Philippe Langlois privilégie ici les faits plutôt que la recherche du sens, les réflexions théoriques se retrouvant atomisées au fil des pages. Les propriétés intrinsèques du son dans l'audiovisuel sont seulement esquissées dans le chapitre sur le cinéma d'auteur, en particulier avec les films de Tarkovski, Kobayashi ou Lynch, et dans son commentaire sur les travaux de Michel Fano sur la partition sonore. L'archéologie s'arrête où commence la pratique. Les cloches d'Atlantis sont une bonne base pour imaginer l'avenir en connaissance de cause, des fondations qu'il serait dommage de passer sous silence. Dans une première partie où il évoque d'abord longuement les futuristes italiens et russes l'auteur inventorie la nouvelle lutherie du XXe siècle quand déjà celle du nôtre la range au musée. La seconde s'intéresse aux dispositifs sonores au cinéma jusqu'en 1950 quand les suivantes abordent les musiques électroacoustiques au cinéma. Le court épilogue sur notre actualité ne peut que laisser sur sa fin, écrivez ce mot comme vous l'entendez, tant l'évolution des nouvelles technologies des vingt dernières années a bouleversé la pratique sans hélas faire progresser l'intelligence, à savoir l'utilisation du son dans sa complémentarité avec l'image, son pouvoir d'évocation et l'immense champ inexploré que sa syntaxe pourrait offrir aux amateurs de sens.

Jean-Jacques Birgé

http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-jacques-birge/061112/les-cloches-datlantis