Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.
A quoi rêvent les modèles de peintres pendant leur temps de pause ? L’univers fantasmatique d’une jeune fille préoccupée par sa seule beauté… Un mélange de prises de vues réelles, d’animation et de trucages vidéographiques. La belle cérébrale, c’est un mannequin de mode dénudé que la caméra de Peter FOLDES caresse comme un corps étranger. Indifférente à ce qui l’entoure, cette femme s’ennuie. Elle semble ne pas entendre la conversation vulgaire de deux hommes qui mangent en attendant un certain Léopold qu’on ne verra jamais, pas plus que la radio qui diffuse un reportage angoissant. Pour se distraire, elle se fait les ongles, puis se met à rêver. Un monde imaginaire se substitue bientôt à la réalité, où des objets divers : bonbons, verres de vin, téléphone, fleurs, bijoux, perruque l’accaparent et l’occupent successivement ; objets du désir auxquels l’animation image par image donne une totale indépendance de mouvement. Puis la femme rêve de danse et sur une musique de François BAYLE, son corps dédoublé en couleurs décomposées se reflète et se multiplie comme dans un kaléidoscope. Après des images paroxystiques, le visage de la femme saccadé par les images violentes d’un film d’espionnage, une voix la ramène à la dure réalité du métier de modèle : il lui faut sourire et reprendre la pose pour une toile qui vante « le dentifrice aux fleurs ».
Dès les premières notes du générique, la musique de François Bayle nous place d’emblée dans une époque musicale qui a vu le public plébisciter les Jerks électroniques de Pierre Henry et Michel Colombier extraits de la Messe pour le temps présent de Maurice Béjard en 1967.
Dans le climat social révolutionnaire et contestataire de la fin des années 60, la musique concrète, émanation de la recherche musicale la plus pure cherche à se populariser et se rapprocher d’un public plus vaste non seulement en multipliant les expériences de musiques d’application que ce soit pour le cinéma, le théâtre, le ballets, des spectacles de mimes, de marionnettes, etc., mais également en recourant à un métissage musical de plus en plus fréquent, en particulier avec le jazz, la musique pop ou bien le rock psychédélique.
Après Luc Perini et Bernard Parmegiani, François Bayle s’empare donc à son tour et avec bonheur du contraste qui résulte du mariage des univers décalés de la musique concrète en lien avec des sonorités pop/rock-psychédéliques.
Dans ce film dont l’image ne montre finalement que la figure du modèle féminin, le son occupe une place essentielle pour générer tout un univers musical délirant à travers un hors champ sonore des plus riche et délicat.
Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.