REFLETS de Piotr Kamler (1961)

Les documents ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

A l’issue d’une séance d’écoute, lors des traditionnelles réunions du Service de la Recherche tous les vendredi après midi, le cinéaste Piotr Kamler découvre Reflets (1960) qu’Ivo Malec a composé dans le cadre de son Etude de stage. Séduit par la luminosité que cette pièce dégage, Kamler lui propose immédiatement d’en réaliser un film. Pour permettre à Kamler de travailler au plus près de la musique, Malec va réaliser une très belle partition graphique inédite, sur laquelle apparaît clairement la composition des quatre pistes de Reflets, un découpage temporel précis (à la demi-seconde), un schéma évolué qui va lui permettre de construire son film.

Reflets se déroule la nuit à deux heures du matin, sous le Pont neuf : la lune se reflète dans la Seine en lignes modifiées à chaque seconde, brisées, et recomposées par le courant. On peut voir ce film de cette façon. A partir de ce « scénario », Kamler travaille sur des métamorphoses continues de formes, de la synthèse figurative à l’analyse de la matière, dont il répertorie avec obstination les éléments.

Malec fut enchanté par le résultat, il ressentit, dit-il, « une forme de bonheur à travers la sensation d’avoir été compris, que quelqu’un a tout simplement compris l’essence de ce que vous avez fait ». Les images comme la musique baignent dans une lumière légère, transparente, et affleurent le drame de manière passagère. L’expérience réussie de Reflets, incite Malec à inverser la proposition de départ : écrire une musique pour le film suivant de Kamler, Structure (1961).

Ce film a été primé au festival du film d’animation de Rimini (Italie) en 1962.

Juste après, une « exclusivité Cloches d’Atlantis » : le fac similé totalement inédit de la partition manuscrite de Reflets de Ivo Malec.

Ainsi que le Schéma directeur de Pierre Schaeffer donné aux compositeurs comme trame pour la composition de leur Etude de stage

ETUDE AUX ALLURES de Raymond Hains (1960)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

L’Etude aux Allures concrétise deux expériences parallèles, l’une sonore, l’autre visuelle à travers l’exploration d’un phénomène équivalent : « l’allure ». L’allure, c’est l’oscillation qui résulte de l’entretien d’un son, le rythme interne de sa structure sonore, ce qui le fait vivre et changer depuis son émission jusqu’à son extinction. Dans cette étude, le peintre Raymond HAINS tente une transposition visuelle de cette loi acoustique en filmant ses œuvres à travers des lentilles cannelées directement fixées sur la caméra créant des effets de vibration optique qui viennent animer les formes et les couleurs et produire un rythme colorés à partir de la permanence d’objets visuels. Utilisant la musique comme canevas de montage, le peintre rend perceptible le langage secret qui s’établit de lui-même entre les événements son et image.
Ce film s’inscrit également dans la série d’essais audiovisuels qui présente un nouveau type de relation où l’on inverse la proposition en réalisant un film à partir d’une musique préexistante, transposant ainsi dans l’activité de la musique de film la théorie de « l’inversion du sens de composition » propre à la musique concrète. Diamorphose de Iannis XENAKIS devient ainsi le modèle sur lequel vient se greffer le film Fer chaud de Jacques BRISSOT tout comme l’Etude aux allures de Pierre SCHAEFFER se trouve ici mise en images par Raymond HAINS.
« Le plus remarquable, c’est l’aisance, précisément, d’un contrepoint qui pouvait se dérouler fort librement, dès que la structure des images et des sons était en parenté. Aucun besoin d’ajuster numériquement battements ou mouvements. C’est l’esprit qui comptait, et non la lettre […] » Pierre SCHAEFFER dans Le contrepoint du son et de l’image.

Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.

MASKERAGE de Max de Haas (1950)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

Le film représente une déambulation, la nuit, à la lumière d’une lampe torche dans les galeries d’un château dont les couloirs sont peuplés de masques anciens. L’image se prête à l’onirisme de la jeune musique concrète pour la première musique de film de Pierre SCHAEFFER, les ressources sonores puisent dans différents registres alliant des sonorités de piano préparé, des jeux de cloches, quelques fragments sonores tirés de la Symphonie pour un homme seul et – fait sans doute unique à l’époque – des extraits de musique traditionnelle africaine.

Premier court métrage à bénéficier d’une musique concrète en 1950, Maskerage est également la première musique de film de Pierre SCHAEFFER inaugurant la recherche autour de la notion d’objet sonore et d’objet visuel notamment grâce à l’emploi de la musique concrète en lien avec le cinéma. Initiée théoriquement avec son Essai sur la radio et le cinéma (1941), la recherche dans le champ de l’audiovisuel est une activité que Pierre SCHAEFFER ne cessera de développer tout d’abord au sein du GRMC puis dans le cadre du Service de la recherche de l’ORTF qu’il dirige jusqu’en1975, avec le but l’élaborer un véritable solfège des objets audiovisuels qui malheureusement ne verra pas le jour.
« Puisque le son et l’image désormais s’enregistrent, se manipulent, nous devons reconnaître l’étendue de ce bouleversement. Il impose à la racine même des arts traditionnels la nécessité d’une révision. Il en offre la possibilité, permet une expérimentation, ouvre un prodigieux champ d’expérimentation. Il s’agit d’examiner, en toute indépendance d’esprit le nouveau conditionnement de l’œuvre. Cette recherche fondamentale engage l’art tout entier ». Pierre Schaeffer, Les machines à communiquer.
Le film fut présenté sous pavillon néerlandais dans le cadre du deuxième festival de Cannes.
Date de production : 1950
Société de programmes : Office Radio Télévision France
Canal de diffusion : 1ere chaîne

Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.

ENTHOUSIASME, LA SYMPHONIE DU DONBASS de Dziga Vertov (1931)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

Enthousiasme la symphonie du Donbass, de Dziga Vertov n’est pas seulement le premier film ukrainien, c’est également le premier film à comporter un traitement du son révolutionnaire en 1930, à partir de la manipulation sonore sur support optique.

En 1930, le savant soviétique Alexandre Chorine conçoit pour Vertov un appareil enregistreur sonore suffisamment « maniable » afin de pouvoir « marcher et courir » dans la rue. Après un an d’études, la première station mobile de cinéma sonore synchrone est mise en pratique à Leningrad. Elle pèse plus d’une tonne et ne possède pas d’appareil d’écoute, de sorte que les réalisateurs marchent « en sourds » sans pouvoir vérifier la qualité de l’enregistrement. Une grande partie des prises de sons enregistrée par Vertov fut inutilisable à cause de vibrations qui saturèrent la prise de sons mais les bruits de machines captés dans le Donbass purent être utilisés en son synchrone.

Dziga Vertov n’utilise pas n’importe quel bruit. Il y a choix, sélection, à la fois thématique et qualitative. Comme pour les images, ces bruits sont l’expression d’une nouvelle classe dominante. Ils représentent et symbolisent cette victoire d’un monde nouveau qui efface le monde ancien, le recouvre de son intense dynamisme. De la même manière, dans le déroulement du film, les sirènes d’usine succèdent au son des cloches, l’écroulement des clochers cède la place à l’édification industrielle. Ce sont désormais les bruits du travail et les sirènes d’usine qui rythment le temps quotidien, qui imposent leur scansion, leur ordre nouveau.

En faisant jaillir une « musique populaire » joyeuse à partir des bruits d’usine, Vertov transcende le travail de l’homme. Par effet de translation de sens, il traduit « l’enthousiasme » populaire grâce au collectivisme. Vertov transpose la théorie d’Hegel qui détermine le travail comme une libération de l’homme, et cherche à la rendre palpable à travers le travail des bruits (cohérent, agréable), pour conclure avec le chant fédérateur et universel de l’Internationale, symbole rayonnant du socialisme soviétique.

Dans d’autres passages d’Enthousiasme, de longues trames étirées, obtenues également à partir du son de sirène, présentent d’infimes variations de hauteur et donnent à entendre des sons inouïs à partir de sons concrets manipulés. De subtiles variations de vitesse de défilement de la bande, à partir d’éléments déjà ralentis, lui permettent également d’obtenir des effets de modulation de fréquence probablement inédits en 1930.
Vertov ne se prive pas non plus d’établir une relation rythmique dans la construction des sons et de conférer à l’agencement de ces bruits un battement régulier. Le son de certaines machines naturellement « mis en boucle » possède ainsi une réelle valeur rythmique, tels des rythmes de danse fascinants. Cet agencement des bruits, cette harmonie générale extraite du fonctionnement des machines relayent une nouvelle fois l’idée d’une grande harmonie dans le travail. La musique symbolise joie, harmonie et rigueur.

Lors de sa sortie, Enthousiasme fut beaucoup critiqué et ne reçut pas les éloges de la presse soviétique. Dziga Vertov fut néanmoins vivement félicité depuis Londres par le cinéaste Charles Chaplin en 1931 : « Je n’aurais jamais imaginé que les bruits industriels pouvaient être ainsi ordonnés et devenir si beaux. Je considère Enthousiasme comme l’une des plus bouleversantes symphonies qu’il m’ait été donné d’entendre. Monsieur Dziga Vertov est un musicien ».  Chaplin saura d’ailleurs se souvenir de la musique des bruits d’Enthousiasme lorsqu’il compose le son de l’usine dans les Temps Modernes (1937).

L’Harmattan, Paris, 1998.

Télécharger l’ouvrage dirigé par Jean Pierre Esquenazi, en Google Book : Vertov l’invention du réel

LA MARCHE DES MACHINES de Eugène Deslaw (1928)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

Comme le signale Paul Gilson dans le papillon du film, La marche des machines est le fruit d’un très important traitement de l’image en laboratoire. Par des trucages à la tireuse optique, Deslaw développe lui-même négatifs et contretypes, augmentant certaines scènes, reprenant plusieurs motifs afin d’obtenir des rappels de rythmes. Pour accompagner cet aspect visuel marginal, l’instrument futuriste de Russolo est sollicité dans le cadre d’une projection cinématographique au Studio 28, à Paris où, pour la première fois, un son totalement nouveau accompagne des images, dans une interprétation de l’image qui surpasse, surtout au niveau du timbre, les improvisations des pianistes pendant les séances de cinéma muet. Il est malheureusement impossible de le vérifier, faute de document sonore –  les copies restantes de ce film étant désespérément silencieuses –  mais il semble que les différents modes de jeu et de timbre du rumorharmonium sur les images manipulées de Deslaw puissent avoir eu un réel pouvoir expressif, et avoir suscité à l’époque l’engouement des spectateurs. Cependant, Eugène Deslaw lui-même prend part à la querelle qui oppose partisans et détracteurs du cinéma sonore dans la revue londonienne Close Up :

« La conception de mon film ? Une conception entièrement « silencieuse ». La sonorisation de La Marche des machines m’a montré que plus la machine est parfaite, moins elle fait de bruit. Privée de ses bruits réalistes, réduite à la musique silencieuse de ses roues et de ses pistons, la machine gagne en valeur cinématographique, frappe mieux les nerfs. Elle parle mieux.  Mais, mais, mais… On ne fait plus de films muets. J’ai donc choisi de faire un film sonore le moins réaliste possible. L’accompagnement de Vers les robots sera réalisé avec le Rumharmonium du compositeur Russolo » .

Une affiche retrouvée au Musée Montmartre annonçant une projection au Studio 28 pour le vernissage de la 79ème exposition Prampolini en date du 15 novembre 1928 confirme que Deslaw se produit encore avec l’instrument insolite de Russolo. Cette affiche annonce en effet la projection de Tolstoï intime ainsi que La marche des machines, avec Russolo et son rumorharmonium.

La version qui est présentée ici a fait l’objet d’une tentative de reconstitution à partir d’une commande passée auprès du compositeur Xavier Garcia, prenant pour base cinq instruments bruiteurs de Russolo et n’opérant que des transformations électroacoustiques n’affectant principalement que le paramètre de hauteur du son.
Cette version a été donnée en avril 2004. au CNAC/ Centre Georges Pompidou dans le cadre de la rétrospective des films d’Eugène Deslaw sous le pilotage de Lubomir Hosejko et de Philippe-Alain Michaud.
une autre version live a également été montrée au Studio National des Arts Contemporains du Fresnoy, le 4 novembre 2004, dans le cadre d’une conférence de Philippe Langlois sur le thème de la symphonie de ville.

Attention la version montrée ici présente un décalage d’un photogramme par seconde du fait de la numérisation à partir d’une VHS.