PACIFIC 231, de Mikhail Tsekanusky (1931)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

Une grande partie de la création musicale des années 20 porte le sceau de l’ère industrielle y compris chez les compositeurs qui se défendent d’appartenir d’une quelconque manière au mouvement futuriste. C’est le cas d’Arthur Honegger à travers l’œuvre Pacific 231 tirée du film de La roue (1923) d’Abel Gance. Dès 1913, Claude Debussy exprimait déjà la nécessité d’une nouvelle musique en déclarant : « Notre devoir n’est-il pas de trouver la formule symphonique qu’exige notre époque, celle qu’appellent les progrès, les audaces et les victoires modernes. Le siècle des aéroplanes a droit à sa musique ».

Le titre de ce poème symphonique, véritable musique à programme, provient de la célèbre locomotive à vapeur la Pacific 231. Cette pièce tente une représentation musicale d'un voyage à bord de cette célèbre machine et puise son inspiration dans les divers bruits de la locomotive à travers les instruments de l'orchestre symphonique: grincements de ferraille et fuites de vapeur rendus par les glissandi aux violons, lourdeur du train au démarrage et le mouvement des bielles est figuré par les cuivres dans le grave, la répétition de motifs mélodico rythmiques s'inspire du mouvement perpétuel de la machine… Les différentes allures du trains sont également  représentés par le tempo variable dans des séquences distinctes en se calquent sur le modèle de plans cinématographiques. Honegger simule l'aspect de rotation et l'accélération du train grâce à des valeurs rythmiques en diminution qui en décompose le mouvement : croches, triolets, doubles-croches,  puis la décélération du train sur un modèle opposé.

Outre la version cinématographique de jean Mitry en 1951, il existe une autre version, très méconnue, réalisé par le cinéaste russe Mikhail Tsekanuski en 1931 mise au jour grâce aux travaux de Valérie Pozner, chercheuse au CNRS, dans le fond de la cinémathèque de Krasnogorsk. c'est cette version qui est proposée ici, de manière totalement inédite.

ALONE LIFE WASTE ANDY HARDY de Martin Arnold (1998)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

En revisitant les classiques hollywoodiens par le biais de l’échantillonnage dans Alone Life Wastes Andy Hardy (1998), le cinéaste viennois Martin Arnold aborde la question de l’appropriation et de la relecture. La procédure prolonge la technique de ses deux films précédents : Pièce touchée (1989) et Passage à l’acte (1993).

 

 

LE TERRITOIRE DES AUTRES de François Bel et Gerard Vienne (1970)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

Dans Le territoire des autres (1970) « délibérément conçu pour l’image et le son à l’exclusion des paroles », François Bel et Gérard Vienne ont tourné pendant six ans plus de quarante-cinq kilomètres d’images d’animaux à travers toute l’Europe. Ne possédant pas encore d’expérience en tant que réalisateurs, ils tournent les séquences sans plan ni idée préconçue. Michel Fano se propose de réaliser le montage de l’image sur une structure musicale « à la manière de la fugue dont s’est servi Eisenstein pour Octobre ». Pendant plus d’un an, il devient à la table de montage le réalisateur a posteriori du film.

« La création se fait au stade du ciseau et du scotch, sur la table par rapport à l’image et par rapport aux deux, trois ou quatre sons associés au phénomène sonore ».

    Michel Fano peut ainsi modifier le montage image de certaines scènes par rapport à la conception sonore qu’il s’en fait. C’est ainsi que progressivement, images et sons se sont adaptés, imbriqués les uns aux autres. Le film a alors pris la forme d’une symphonie en dix mouvements (la pollution, le camouflage, la survie, la reproduction, le cri des animaux, etc.), avec une ouverture et une coda. Les sons instrumentaux s’y intègrent aux sons naturels puis aux sons transformés jusqu’à créer le continuum sonore recherché.

Générique du début

Séquence de l'embryon

CŒUR DE SECOURS de Piotr Kamler (1973)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

En 1973, François Bayle collabore une fois encore avec Piotr Kamler pour illustrer un petit film d’animation qui s’intitule Cœur de secours. Une nouvelle fois, Piotr Kamler transporte le spectateur dans un monde onirique et étrange, qui met en scène un funambule, un équilibriste ainsi qu’un petit personnage qui transporte précieusement un cœur entre ses mains. Le petit homme se déplace tantôt à pied, tantôt à vélocipède, dans un monde surnaturel constitué d’engrenages, de mécaniques imaginaires. Dans cette atmosphère hostile, manipulée, l’amour qu’il tente de préserver apparaît comme plus fragile, plus difficile à protéger.
La musique de François Bayle illustre cet univers à l’aide de boucles sonores en évolutions constantes à partir de sons de clarinette basse et de boîte à musique. Selon les tableaux, ces boucles sont transposées dans différents registres pour matérialiser la répétition et la transformation des saynètes traversées. Cet univers sonore minimaliste, peuplé de petits sons discrets, composé comme une aquarelle de Raoul Dufy, se résume à quelques lignes, quelques taches qui se fondent sur la structure des images.
 

ASTROLOGIE, LE MIROIR DE LA VIE de Jean Grémillon (1952)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

Composée par Pierre Henry en étroite collaboration avec le réalisateur, la musique d’Astrologie constitue l’aboutissement des recherches musicales formelles de Jean Grémillon dans une volonté de fusionner bruits et musique. Cette approche cinématographique profondément musicale, déjà remarquée par Pierre Schaeffer en 1946, favorise la venue de Jean Grémillon dans les studios de la rue de l’Université. Il y a encore peu, l’analyse des relations audiovisuelles à l’œuvre dans Astrologie n’était pas envisageable compte tenu de l’état de conservation du film qui en interdisait le visionnage. Sa restauration, à l’occasion du cycle de film Les films du Service de la Recherche de l’ORTF que nous avons programmé au MAC/VAL en janvier 2006, a permis une remise en circuit du film en copie neuve.

EGYPTE Ô EGYPTE de Jacques Brissot (1958)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

Le troisième et dernier volet de cette trilogie documentaire sur l'Egypte et titre éponyme de l'ensemble, Egypte Ô Egypte  se présente comme un essai sur des textes funéraires extraits du Livre des morts des anciens Egyptiens de Grégoire Kolpatchy. Sans faire œuvre d’égyptologue, mais attiré par la cosmogonie égyptienne, Jacques Brissot s’est efforcé de donner un équivalent cinématographique du long voyage de l’âme dans le pays des morts, avec ses portiques qui sont autant d’étapes initiatiques. La caméra se promène dans les paysages et les temples de la vallée de Thèbes, au milieu des pyramides, des statues gigantesques, des perspectives de colonnades, des fresques et des hiéroglyphes. Les prises de vues directes alternent avec les filmages, image par image, qui rendent perceptible en accéléré le cheminement des ombres sur les pierres. Les plans se succèdent en fonction des rapports plastiques et géométriques qui tentent de retrouver le sens profond de la symbolique égyptienne. 

 
La bande-son du troisième film est uniquement constituée du texte dit par Roger Blin et de la musique de Ferrari dans un entrelacs savamment composé. Pour la première fois dans l’œuvre de Luc Ferrari, la musique mélange des sons instrumentaux (un petit orchestre de dix-sept musiciens) et des sons concrets, imbriqués dans une structure qui mêle également des sons ambigus à l’orée des deux univers, fruits des manipulations de l’un et de l’autre.

Comme les images de Jacques Brissot, la musique d'Egypte Ô Egypte est contemplative ; elle oriente ainsi l'auditeur vers une écoute très méditative et le transporte dans un univers d'une extrême lenteur. Les événements sonores y sont en effet très distants les uns des autres, reliés par des résonances étirées, comme pour rappeler cette époque lointaine où les temples furent édifiés et le temps qui les relie à notre propre contemplation, comme pour « capter la résonance des temps anciens ». A la lenteur du son, s'accorde par contraste, la rapidité des images illustrant la symbolique du dieu Amon Râ dans l'Egypte antique, réalisée grâce à un procédé de filmage original. Ainsi, l'image d'un temple filmée toutes les minutes pendant une journée entière, révèle à la projection la course quotidienne du soleil, en accéléré, glissant sur des éléments d'architecture pharaonique.

Avec un tel procédé, le rendu visuel permet de voir le ciel, les nuages et les ombres défiler et se mettre en mouvement le long des façades jusqu'à donner l'impression de ramper sur la pierre. Pris sous différents angles, « la moindre fissure, aspérité, le moindre petit angle deviennent vivants dans ces « machins » restés immobiles pendant quatre mille ans qui s'animent d'un seul coup au son de ces trames étirées ».

Sur le plan sonore, les mouvements de nuances, de différenciation de hauteur, d'allure du son, sont autant de composantes sonores qui se sont imposées à Luc Ferrari par le traitement de l'image. Outre l'aspect purement mécanique, il résulte de ce croisement des démarches techniques, un travail sur la matière visuelle et sonore qui traverse le temps, jusqu'à en révéler l'aspect « ardent ». En jouant de la sorte sur la résonance et l'inflexion temporelle, il se crée presque automatiquement un lien avec la mythologie du Livre des morts, faisant de ce film l'une des grandes réussites, encore méconnues aujourd'hui, qui conduit à la création du Service de la Recherche.

La démarche totalement expérimentale et intuitive de Luc Ferrari, liée à l'approche visuelle de Jacques Brissot, a permis de créer un film d'une puissante beauté récompensé par le prix de la Biennale de Paris en 1963.

Un extrait.

LE TEMPESTAIRE de Jean Epstein (1946)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

Le Tempestaire est le fruit d’une collaboration étroite entre un réalisateur, Jean Epstein et un compositeur, Yves Baudrier. Ce film constitue une symbiose audiovisuelle exceptionnelle. L’étude du Tempestaire s’avère capitale dans la perspective d’une recherche portant sur l’émergence des musiques électroacoustiques au cinéma car l’inventivité et l’originalité des procédés acoustiques qui y sont déployées ouvrent vers une nouvelle esthétique voire une nouvelle poétique du sonore et du musical. Par ailleurs, ce film est également l’un des jalons essentiels dans la préhistoire des procédés électroacoustiques qui conduisent à la naissance de la musique concrète. 

LUMIERE D’ETE de Jean Grémillon (1942)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

La trame de Lumière d’été oppose deux mondes qui s’affrontent. Le monde de la bourgeoisie, de l’oisiveté et de l’envie, incarné par la plupart des personnages qui se prélassent dans un hôtel grand luxe, et le monde du travail, celui des ouvriers construisant non loin de là un barrage.
Grémillon personnifie le barrage, là où le film se clôt dans l’affrontement des deux mondes. Pour cela, il enregistre plus de deux cents sons industriels, dans des usines, sur des chantiers pour assembler une véritable composition bruitiste afin de donner « une image sonore plus riche que le son brut ».

Cette séquence sera remarquée par Pierre Schaeffer en 1946 pour sa remarquable musicalité des bruits avant même l'invention de la musique concrète.

La séquence finale du sauvetage combine, là encore une inventive intégration de tous les éléments qui constituent la bande sonore du film.

REMORQUES de Jean Grémillon (1942)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

La bande son de Remorques est remarquable à plusieurs titre au niveau de l'intégration des différents paramètres sonores : musique, bruits et paroles comme dans la scène de la tempête située au début du film.
« Le rythme est donné par la bande-son qui combine le souffle de la tempête et une musique orchestrale « off » (…) puis la musique disparaît pour laisser place aux bruits du bateau, suivent alors trente deux plans de plus en plus courts de pistons qui montent et descendent, sur un crescendo très rythmé de bruits qui illustrent l’accélération de l’allure du remorqueur (…) Le passage d’une image à une autre obéit au rythme de la musique ce qui donne l’impression d’une harmonie parfaite entre le monde mécanique et le monde humain ».

L’exemple le plus abouti de cette fusion des éléments sonores se situe très vraisemblablement dans la scène finale de Remorques, où se mélangent quatre éléments La litanie du chant des trépassés, en chœur parlé, la musique de Claude Roland-Manuel, (fondée sur la scansion vocale), les hurlements du vent de la tempête et, pour conclure le film, la voix de Jean Gabin qui annonce le départ du remorqueur (synchronisée avec le dernier vers du chœur sur le mot « solitude »).

SONG OF CEYLON de Basil Wright et Harry Watt (1934)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

Dans le documentaire britannique de Basil Wright intitulé Song of Ceylon (1934), il est possible de rencontrer plusieurs effets sonores très intéressants tant sur le plan technique que dialectique. Song of Ceylon est, au départ, une commande du Ceylon Tea Propaganda Board destiné à relancer le marché du thé en Grande Bretagne ; heureusement, Basil Wright a su pousser l’idée beaucoup plus loin que l’objectif initial.

Quand Basil Wright intitule la troisième partie de Song of Ceylon : Les voix du marché, il ne fait point référence à la ferveur vocale qui anime traditionnellement les marchés indiens. C’est en fait de commerce international dont il est question et plus particulièrement de communications entre les comptoirs indiens et les grossistes de la métropole. Les messages sont envoyés en morse par télégraphe et concernent les commandes de produits indiens passées par les Etats auprès de leurs différents comptoirs. Les voix s’enchevêtrent dans toutes les langues, français, anglais, allemand, mélangées avec les sons du télégraphe, le bip-bip du morse et les sonneries de téléphone formant une tour de Babel sonore. La vitesse du montage, la modernité de ces moyens de communication ainsi que la superposition des bruits et des voix sont autant de propositions pour l’oreille qui créent un contraste saisissant avec la vie tranquille des insulaires.

L’aspect religieux occupe une place très importante dans la vie des habitants de Ceylan. Quotidiennement, les prières du lever et du coucher du soleil, les rites d’offrande aux dieux et la pratique de la danse rituelle rythment la vie des insulaires. C’est ce thème qui domine dans la dernière partie de Song of Ceylon où un petit groupe de danseurs se livre aux danses sacrées du Kathakali, danse rituelle d’Inde du sud – dans le Kerala – qui, dans le film, conduit à un état extatique.
Basil Wright filme les danseurs en plaçant sa caméra au centre du cercle qu’ils forment. Les mouvements rapides de caméra en panoramique et en fondus enchaînés symbolisent la sensation de tournis qui envahit chacun des danseurs. Pour seconder cette action, un grondement sourd apparaît très doucement, avant de s’amplifier et de prendre le pas sur les rythmes et les chants du kathakali, pour finalement remplir tout l’espace sonore. Il s’agit là d’un travail effectué à partir d’un instrument éminemment sacré dans notre tradition occidentale : la cloche.

une vidéo intégrale de ce film est disponible sur le site américain Internet Archive