INTONARUMORI & L’ART DES BRUITS, de Luigi Russolo (11 mars 1913)

Le Bruitisme a cent ans…

Le terme "intonarumori" provient de la contraction des mots italiens intonare (chanter) et rumori (bruits) qui désigne la possibilité de faire chanter ou d'entonner les bruits.

La révolution du mouvement futuriste dans le domaine musical émane du Bruitisme du peintre Luigi Russolo, décrit dans son ouvrage l’Art des bruits qui vient compléter, de façon éloquente, les idées futuristes dans le domaine du timbre. C’est prétendument au cours de la soirée futuriste du 9 mars 1913, au théatro Costanzi de Rome, que Luigi Russolo, à l’audition de la symphonie de Pratella L’hymne à la vie, eut une « intuition révolutionnaire », « le Bruitisme » : étendre le champ du timbre à l’utilisation du bruit dans une perspective musicale. Nous savons aujourd’hui que cette idée était en réalité antérieure au concert du 9 mars, et qu’elle fut présentée comme telle pour ménager la susceptibilité  de Pratella, désigné comme le compositeur futuriste officiel. C’est ainsi que Russolo écrivait deux jours plus tard, le 11 mars 1913 une « lettre manifeste » élogieuse à l’attention de Pratella dans laquelle on peut lire :

« (…) Chaque bruit a un ton, parfois aussi un accord qui domine sur l’ensemble de ses vibrations irrégulières. L’existence de ce ton prédominant nous donne la possibilité pratique d’entonner les bruits, c’est-à-dire de donner à un bruit une certaine variété de ton sans perdre sa caractéristique, je veux dire le timbre qui le distingue. Certains bruits obtenus par le mouvement rotatoire peuvent nous offrir une gamme entière ascendante ou descendante soit qu’on augmente, soit qu’on diminue la vitesse du mouvement. (…)»

(Russolo, l'art des bruits, 11 mars 1913)

Voici cinq exemples d'instruments bruiteurs de Luigi Russolo, dans l'ordre : Crepitatore, Ullulatore, Gracidatore, Gorgogliatore, Ronzatore.

Intonarumari de Luigi Russolo

Quelques exemples de musiques qui intègrent les bruiteurs de Rossolo au sein d'une formation instrumentale :

– Corale (1921) de Antonio Russolo, frère de Luigi à partir d'un enregistrement original de 1921.

L’aviatore dro opus 33 (1913-14), opéra de Francesco Ballila Pratella pour soprano et piano où l’utilisation des instruments bruiteurs de Russolo est intégrée au sein d’une écriture musicale classique.

LUDWIG VAN de Mauricio Kagel (1970)

Pour le bicentenaire de la naissance de Beethoven en 1970, Mauricio Kagel entreprend la réalisation de "Ludwig van", première de ses réalisations cinématographiques, conçue comme une véritable interrogation sur l'utilisation de la musique de Beethoven.

Ce film en noir et blanc est volontairement décalé, dérangeant, irrespectueux, voire provocateur.
Les codes traditionnels de la narration sont transgressés au sens linéaire du terme à travers un  film constitué de scènes, sans lien entre elles hormis la figure légendaire du grand compositeur romantique.

 

Nous visitons ainsi des lieux où Beethoven a vécu : son cabinet de travail, pièce entièrement recouverte de notes de musique ; sa cave, débarras empli de bouteilles de vin ; son grenier, où s'empilent des partitions de compositeurs du XIX et XXe siècles ; sa salle de bain, dans laquelle la baignoire est remplie de bustes de… Beethoven, qui sont enlevés les uns après les autres.
Ni reportage documenté, ni film biographique, Kagel use et abuse de l'anecdote pour détourner les codes du film "en hommage à " et tenter de constituer un portrait en creux, provoquant, prenant par surprise, agaçant même de manière désopilante.

Dans le désordre, il donne à voir un débat télévisé ridicule sur Beethoven et sa musique ; une évaluation des capacités physiques, morales et psychiques de la musique de Beethoven sur les interprètes (cette partie est l'une des plus comiques) ; une interview, dans un champ, d'un descendant de Beethoven…

Le film se termine au zoo, par des scènes présentant des animaux dans des attitudes aussi éloquentes que possible, voire scatologiques, en particulier la séquence où sous la baguette de Herbert von Karajan, la musique de Beethoven est accompagnée visuellement par la défécation d'un gros pachyderme, ce qui peut être interprété comme une métaphore à la fois comique et insultante renvoyant au style de direction quelque peu "ampoulé" de Karajan.

L'épisode de la chambre constitue une véritable installation plastique dans le sens où Kagel à recouvert toutes les surfaces du cabinet de travail de ses partitions. Pas une seule parcelle n'est épargnée : miroirs, table de travail, chaise, piano, sol, porte, etc.  La musique de cette séquence est une interprétation "à la volée" des morceaux de partition d'un quatuor qui ne peut que jouer les parties captées par la caméra. En ce sens cette partie forme un véritable collage généralisé, visuellement et musicalement qui donne à entendre la musique déconstruite de Beethoven en une sorte d'illusion et de réminiscence de tout l'œuvre du compositeur.

L'extrait qui suit propose une immersion dans le cabinet de travail de Beethoven recouvert de toutes ses partitions.

Le film est disponible dans un coffret "The Mauricio Kagel Edition" (2 CD + DVD)

IMAGINARY LANDSCAPE NO.4 de John Cage (1951)

Imaginary Landscape n°4 est dédicacée à Morton Feldman. Vingt-quatre manipulateurs sont nécessaires pour exécuter cette œuvre, soit deux par poste de radio : le premier pour varier les fréquences, le second pour contrôler le volume.

Il semble futile voire contradictoire ici, de vouloir rendre compte de la portée de cette œuvre à travers les instants immuables de l’enregistrement vidéo qui fige l’exécution d’une partition qui, intrinsèquement, cherche le renouvellement permanent et l’indétermination lors de chacune de ses interprétations. Aussi, les enregistrements qui illustrent ce propos ne sont ils pas des contre-exemples de ce que Cage cherchait précisément à approcher : l’indétermination dans l’instant de chacune de ses exécutions ?

Le percussionniste Lê Quan Ninh, spécialiste de l’interprétation de la musique de John Cage, indique que cette œuvre ne doit pas être interprétée de manière frontale mais que les postes de radio doivent au contraire être dispersés dans l’espace. La pièce ne doit pas non plus être dirigée par un chef d’orchestre. Aussi les deux exemples qui suivent semblent très loin d’une représentation idéale.

Extrait d’un article de Catherine De Poortere,

Le poste de radio, dont John Cage extrait du son aléatoire comme il pourrait le faire de n’importe quel objet trouvé, figure au centre de deux performances (1951 et 1956) d’une sobriété presque contemplative, désintéressée. D’un effet vertigineux, ces mises en scène n’en demeurent pas moins simples et ordinaires. Au milieu du siècle des avant-gardes, John Cage n’est pas de ceux qui, sans discernement, exaltent le progrès et cherchent à s’en prévaloir. En art comme dans la société, dans les faits comme dans la vie, l’innovation technique, qu’elle soit littérale, ludique ou même subversive, ne tient lieu ni de style ni de contenu. Aux yeux de cet artiste pluridisciplinaire mais radical, il n’est d’art que vivant, émancipateur, toujours en devenir. L’œuvre ne peut se donner comme forme fixe, forme inerte, sclérosée; c’est là le cadavre de l’art peut-être – si tant est que l’art n’abolisse pas nécessairement sa propre fin.

C’est ainsi que Cage procède : cadrer pour libérer. Les amateurs de notations originales trouveront leur bonheur en examinant les « partitions » de « Radio music » et « Imaginary landscape n°4 », sur lesquelles l’artiste détaille écarts de fréquences, silences et autres spécificités hertziennes, d’abord sur une portée puis directement en chiffres et en traits de façon à ouvrir au maximum le spectre de manœuvre. Ces deux morceaux, qui emploient chacun une dizaine de postes et le double en exécutants, sont voués à être uniques (on ne tient pas compte des enregistrements « historiques », contradiction dans les termes), d’autant que la radio évolue sans cesse, en forme et en contenu. Si la radio n’est guère qu’un objet sonore parmi d’autres pour John Cage, plus encore que le piano arrangé, elle est l’instrument de l’indétermination par excellence. Sa multiplicité reflète la multiplicité de tous, reflète plus encore la multiplicité d’un seul – et parfois même elle paraît porter la gravité de son destin. Unanime et ressemblante, est-elle l’expression de tous ou d’un seul ? Ou, immanence ingrate, ne dévoile-t-elle qu’un visage rassemblé, difforme – son visage arbitraire ?

La radio n’a pas de sens, elle les contient tous, n’en retient aucun. L’ampleur d’un paysage imaginaire est sans limites. À l’écoute, on se trouve d’emblée transporté comme dans un long voyage en voiture. Il arrive toujours un moment où dans la torpeur de la monotonie, on allume distraitement la radio. À tâtons (qu’est-ce qu’on cherche ? qu’est-ce qu’on attend ?), on s’abandonne aux ondes indistinctes, cela peut durer des dizaines de minutes, entre deux villes sur l’autoroute il n’y a pas grand-chose, on passe trop vite d’une chaîne à l’autre, tout est fluide, les parasites collent les bribes de voix, les langues inconnues, les notes de musique, les cris, les rires… La radio est ce médium acousmatique qui ne supprime certaines formes du silence, de la solitude et du vide que pour les remplacer par d’autres, plus insidieuses, plus redoutables, car plus banales… Voilà ce qu’évoquent ces deux morceaux de Cage, ces temps de dérive, ces temps abstraits infiniment creux où, sans se l’avouer, ce qu’on écoute à la radio c’est la radio elle-même, totalité incohérente, continue et discontinue, lugubrement rassurante, berceuse appropriée au demi-sommeil, à la folle rêverie de la pure passivité.

RADIO MUSIC de John Cage (1956)

 

Radio Music (1956) d'une durée de 6 minutes peut être jouée en solo et jusqu'à 8 exécutants.

Cette pièce fut crée le 30 mai 1956, aux  États-Unis, à New York City, au Carl Fisher Haller, par John Cage, Maro Ajemian, David Tudor, Grete Sultan et les membres du Juilliard String Quartet.

La partition n'est composée que de chiffres indiquant 56 fréquences ainsi que des tirets indiquant des silence. De plus il y a 4 mouvements qui peuvent être marqués ou non par des silences.

TROIS PORTRAITS D’UN OISEAU QUI N’EXISTE PAS de Robert Lapoujade (1965)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

A partir d’un poème de Claude Aveline « Portrait de l’oiseau qui n’existe pas », Robert Laoupjade réalise ce court-métrage d’animation « Trois portraits d’un oiseau qui n’existe pas » (oiseau carnassier, oiseau mouche, oiseau chanteur). Peintre et cinéaste, il réalise dans ce film la synthèse de ces deux moyens d’expression en faisant se mouvoir grâce à la technique d’animation de poudres et de matériaux divers, une peinture en éternel changement.

Pour ce film produit par Roger Leenhardt, il était pressenti la collaboration musicale d’un compositeur de renom tel Georges Auric ou Henry Sauguet. Selon les dires de François Bayle, la production recherchait une signature illustre afin de compléter une distribution déjà prestigieuse. Or, après de nombreux retards dans la livraison des images, Georges Auric puis Henry Sauguet se désistent et la présentation du film, dans le cadre d’un festival très proche, incite le Service à désigner François Bayle, en dernier recours. Il est chargé de composer une musique « temporaire », quelques jours avant la présentation du film.
La musique de François Bayle s’appuyant sur l’idée de mutation sonore, donne tout à la fois une équivalence et un parallèle à la beauté plastique des images mi-figuratives, mi-abstraites de Robert Lapoujade. La partition comprend un cor, un clavecin, un hautbois ainsi que des sons concrets.
La forme générale de la musique est disparate, sans véritable continuum ; les sons obtenus avec cette formation hétéroclite, constitués de bruits épars et de coassements surréalistes, donnent à entendre un monde sonore imaginaire qui s’accorde par synchronisme aléatoire aux images de Lapoujade. Modestement, François Bayle prétend avoir « en quelques jours, torché une musique inattendue et pimpante qui convenait fort bien aux images de Lapoujade ».
Naturellement inquiet, comme la plupart des gens de cinéma face à leurs images muettes, Robert Lapoujade est finalement satisfait par la musique de François Bayle. Bien défendue par le réalisateur, la musique du film est finalement adoptée sans qu’aucun autre compositeur soit mis à contribution pour une version définitive.

Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.

SYNTHESE AUDIO GRAPHIQUE dans l’œuvre de Ryoji Ikeda

Ryoji Ikeda fait partie de ces artistes qui ont toujours considéré la relation audiovisuelle comme constitutive de ses œuvres ; du concert à la performance, de l'installation sonore aux dispositifs audiovisuels.

Depuis les années 90-200 où la notion de performance AV voit le jour, notamment avec le collectif Dumb Type, Ryoji Ikeda oriente systématiquement son travail vers une relation audio graphique de plus en plus étroite qui trouve son expression achevée dans nombre de ses œuvres. En questionnant les éléments constitutifs de l'image et du son numériques, les data, il pousse toujours plus loin une relation audio graphique synchronisée jusqu'à fondre le son dans l'image et réciproquement l'image dans le son. On peut même aller jusqu'à dire que dans certaines performances ou installations, le son est l'image et l'image est le son.
en voici quelques exemples parmi les plus significatifs :

DATA.MICROHELIX, 2005, (Dataplex)

TEST PATTERN #1101 – 2008

DATAMATRIX – Live à Sonar (Barcelone) 2010

Lien vers le site de Ryoji Ikeda

PACIFIC 231, de Jean Mitry (1949)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

 

Bien que nettement plus formelle et moins poétique que la version de Mikhail Tsekanusky, la version de Jean Mitry de Pacific 231 n'en est pas moins un modèle qui puise son inspiration dans le cinéma d'avant garde des années 20 tel un vobrant hommage au cinéaste Abel Gance auquel Mitry vouait une véritable admiration.

PACIFIC 231, de Mikhail Tsekanusky (1931)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

Une grande partie de la création musicale des années 20 porte le sceau de l’ère industrielle y compris chez les compositeurs qui se défendent d’appartenir d’une quelconque manière au mouvement futuriste. C’est le cas d’Arthur Honegger à travers l’œuvre Pacific 231 tirée du film de La roue (1923) d’Abel Gance. Dès 1913, Claude Debussy exprimait déjà la nécessité d’une nouvelle musique en déclarant : « Notre devoir n’est-il pas de trouver la formule symphonique qu’exige notre époque, celle qu’appellent les progrès, les audaces et les victoires modernes. Le siècle des aéroplanes a droit à sa musique ».

Le titre de ce poème symphonique, véritable musique à programme, provient de la célèbre locomotive à vapeur la Pacific 231. Cette pièce tente une représentation musicale d'un voyage à bord de cette célèbre machine et puise son inspiration dans les divers bruits de la locomotive à travers les instruments de l'orchestre symphonique: grincements de ferraille et fuites de vapeur rendus par les glissandi aux violons, lourdeur du train au démarrage et le mouvement des bielles est figuré par les cuivres dans le grave, la répétition de motifs mélodico rythmiques s'inspire du mouvement perpétuel de la machine… Les différentes allures du trains sont également  représentés par le tempo variable dans des séquences distinctes en se calquent sur le modèle de plans cinématographiques. Honegger simule l'aspect de rotation et l'accélération du train grâce à des valeurs rythmiques en diminution qui en décompose le mouvement : croches, triolets, doubles-croches,  puis la décélération du train sur un modèle opposé.

Outre la version cinématographique de jean Mitry en 1951, il existe une autre version, très méconnue, réalisé par le cinéaste russe Mikhail Tsekanuski en 1931 mise au jour grâce aux travaux de Valérie Pozner, chercheuse au CNRS, dans le fond de la cinémathèque de Krasnogorsk. c'est cette version qui est proposée ici, de manière totalement inédite.

4’33 » de John Cage (1952)

4’33 » célèbre pièce de John Cage composée en 1952 appartient au répertoire d’un courant musical que l’on nomme musique expérimentale. Cage s’intéresse non pas au caractère unique de la permanence ou à l’aspect immuable de l’œuvre mais au caractère unique du moment, c’est l’un des concept du Yi King. Au contraire du compositeur d’avant garde qui veut figer le moment afin de préserver son caractère unique et permettre à l’œuvre de trouver une forme définitive et permanente. Il en résulte un bouleversement de la notion d’identité primordiale d’une composition pour les avant-garde, notion très différente chez les compositeurs expérimentaux où deux versions d’une même pièce n’aurait aucun fait musical perceptible en commun.
Pour autant « l’exécution d’une composition qui est indéterminée dans son exécution est nécessairement unique. Elle ne peut être répétée. Quand elle est interprétée une seconde fois, son issue est autre que ce qu’elle a été. Ainsi rien n’est accompli par une telle exécution puisque cette exécution ne peut être saisie en temps temporel » dit Cage.

Du coup, les enregistrement sont trompeurs et seulement représentatif d’une manière d’interpréter la pièce

4’33 » implique l’écoute de ce qui se passe pendant que la pièce est interprétée. C’est précisément l’instant de l’exécution qui fait œuvre riche ou pauvre, peu importe. Les protestations hostiles du public sont tout aussi intéressantes que les sons produits par l’exécutant à la différence que les réactions instinctives du public sont incontrôlées alors que l’exécutant sait exactement ce qu’il fait de manière réfléchie et contrôlée.
Cage vise à un engagement de l’auditeur aussi profond que possible et à une mise à l’épreuve de ses facultés de perception.

Comme indiquée sur la partition, la pièce est prévue pour être interprétée pour n’importe quelle instrument ou groupe d’instruments.

Lors de la création par David Tudor le 29 août 1952, au Maverick Concert Hall de Woodstock dans l’État de New York, dans une interprétation pour piano solo, Le public l’a vu s’asseoir au piano, soulever le couvercle et laisser ses mains au-dessus des touches de l’instrument. Après un moment, il ferma le couvercle et se leva. Le morceau avait été joué et pourtant aucun son n’était sorti.
« […] les gens ont commencé à chuchoter l’un à l’autre, et certains ont commencé à sortir. Ils n’ont pas ri – ils ont juste été irrités quand ils ont réalisé que rien n’allait se produire, et ils ne l’ont toujours pas oublié trente ans après : ils sont encore fâchés. » écrit David Revill dans son ouvrage The Roaring Silence: John Cage, A Life.

La notion de temps dans chacune des parties doit être observée scrupuleusement, à l’exclusion des silences entre les trois parties
Dans la version de David Tudor , lors de la création en 1952, les silences et la séparation entre les parties est marquée par l’ouverture et la fermeture du couvercle du piano.

La longueur de 4’33 » est en fait désignée par pur hasard. Et c’est ce temps qui donne son titre à l’œuvre. Cependant, bien qu’aucune preuve ne vienne avancer la théorie suivante, il semblerait que Cage ait choisi cette longueur de manière délibérée. En effet, quatre minutes et trente-trois secondes équivaut à 273′, l’opposé de la valeur en degrés Celsius du zéro absolu (température négative) où aucun mouvement ne peut se faire. Signe de la volonté d’atteindre le point mort d’où aucun son ne peut provenir. Une autre théorie, provenant du philosophe et spécialiste de John Cage, Daniel Charles, indique que 4’33 » pourrait être un ready-made à la Marcel Duchamp du fait que John Cage se trouvait en France lors de l’année de composition de l’œuvre et que sur les claviers de machines à écrire en AZERTY le 4 et le 3 correspondant au signe « ‘ » et «  » » – signifiant minute et seconde.

 

IN FUTURUM de Erwin Schulhoff (1919)

 

4’33 » de John Cage n’est pas la seule ni la première partition entièrement « silencieuse ».

33 ans avant 4’33 », dans In Futurum de Erwin Schullhoff, en 1919, troisième pièce tirée des 5 pittoresques opus 31 pour piano, la partition est uniquement constituée de signes musicaux qui représentent les différents silences. Le rythme de la main droite est à 7/5 tandis que la main gauche joue sur un rythme à 7/10 !

Impossible à jouer sinon dans le silence…

from Five Pittoresques for Piano.

Feuille de papier, 29, 5 X 21 cm.

En voici une interprétation par Gerard Bouwhuis dans le concert donné par Ebony Band, le 25 April 2013 au Muziekgebouw à Amsterdam.