Le domaine le plus original dans lequel se sont exercées les recherches de Norman McLaren est sans nul doute celui de la synthèse optique, obtenue à l’aide de deux procédés différents, en « authentique musicien de la lumière » suivant l’expression d’Abel Gance : « parce que chez lui la sensation visuelle (lumière de l’image) devient sensation musicale (lumière du son) ».
Le premier procédé technique qu’il utilise est expliqué dans Pen Point Percussion – A la pointe de la plume – (1950), film didactique conçu rétrospectivement comme une introduction à Dots et Loops (1939-1940) permettant de jeter les bases de la « peinture sonore ».
Dans les années qui suivent, John et James Whitney coréalisent une série de cinq petits films, Five Abstract Film Exercices, (1942-1945) qui radicalise la notion de synesthésie grâce à un appareil inventé par John Whitney, combinant une tireuse optique avec un jeu de pendule calibré. La grande innovation de cet appareil réside dans sa capacité à créer simultanément des images et des sons.
Les Five Abstract Film Exercices sont à plusieurs titres révolutionnaires et prophétiques de ce que l’art vidéo sera capable d’engendrer quarante ans plus tard. Leurs premières projections au Festival du film expérimental de Bruxelles en 1949, où ils obtinrent le « prix spécial » grâce à l’impact de la bande sonore et frappèrent les spectateurs par la bouleversante musique « électronique », « supraterrestre » et les lumineuses images « néons » qui semblaient être « tombées dans notre sphère temporelle en venant du futur de la science-fiction ». Obtenues au moyen de prismes, d’expositions multiples, de filtres de gélatine colorés et saturés, les images appartiennent à l’abstraction visuelle et ressemblent à des taches colorées se transformant dans un jeu de couleurs très vives.
L’esthétique avant-gardiste qui se dégage des Five Abstract Film Exercices ne provient pas seulement de la tonalité très novatrice du traitement visuel, mais également de la manière dont la bande-son fut créée. Le développement et le déploiement des formes géométriques suivent des principes musicaux : par exemple, le cinquième film de la série se développe en canon.
Voir l'article de Philippe Langlois sur John et James Whitney sur le site Pionniers et précurseurs
Au même titre que Rudolf Pfenninger, Oskar Fischinger peut être considéré comme l’un des pères de la synthèse optique. Peintre à l’origine, il se convertit au cinéma dans les années 1920 et réalise une oeuvre centrée la musique visuelle, Ses travaux sur le graphisme sonore aboutissent à un film de huit minutes, Tönende Ornament – Ornament Sound – en 1932, dans lequel il tente de formaliser scientifiquement l’utilisation du son optique en se libérant par conséquent de tout modèle musical préexistant. C’est à ce niveau que surgit la grande différence entre l’approche de Pfenninger et celle de Fischinger où il se concentre sur l’idée de modélisation du son à des fins synesthésiques et Pfenninger travaille quant à lui à reproduire une musique pour accompagner les péripéties de personnages animés. En déclarant faire une musique de lumière – Lichtmusik – dans Ornement Sound, Oskar Fischinger parvient à modeler une foule d’éléments sonores et de paramètres qu’il baptise également sons stéréoscopiques. Pour couvrir l’étendue des possibilités offertes par la synthèse optique, Fischinger doit réaliser de nombreuses tables de conversion afin de déterminer les formes d’ondes capables de produire des timbres distincts, des rythmes prédéterminés, des nuances contrôlées. Il tente ainsi de définir de manière scientifique le rapport exact qui unit le graphisme sur piste optique avec les bases théoriques du solfège musical.
Voir l’article de Philippe Langlois sur Oskar Fischinger sur le site de Pionniers et précurseurs
Tönende Handschrift peut être considéré comme un « film-manifeste ». Le titre, « écriture sonore manuscrite » introduit également par jeu de mots la notion de « manuscript sonore ». Ce court-métrage de treize minutes est un film fondateur en matière de sons synthétiques. Constitué d’une première partie documentaire sur la science acoustique, Tönende Handschrift peut être classé parmi les films dits « scientifiques », ou « documentaires » comprenant dans le premier tiers un véritable cours didactique de physique acoustique, enrichi d’un grand nombre d’exemples sonores synthétiques. Le commentaire explique et illustre de manière simple les principes de base de la physique acoustique : la célérité d’une onde dans l’air et dans l’eau, la propagation des fréquences hertziennes, le mécanisme d’enregistrement et de lecture du gramophone, la fréquence sonore, la forme d’onde… La deuxième partie du film se tient dans l’atelier de Rudolf Pfenninger et repose sur un entretien réalisé par le journaliste Helmuth Renar. Enfin, la dernière partie donne à voir et à entendre une application des principes énoncés dans l’entretien.
Le film présenté ici, en allemand, est totalement inédit
Une des plus belles intégrations musicales, mêlant des instruments symphoniques traditionnels à ceux de la nouvelle lutherie se trouve sans doute dans le film devenu culte de Robert Wise, The Day The Earth Stood Still sorti en France sous le titre Le jour où la Terre s’arrêta. (1951). En effet, jamais film de science-fiction n’avait déployé pareille instrumentation. L’orchestre symphonique que Bernard Herrmann imagine pour cette partition offre des sonorités et des atmosphères totalement inouïes dans une partition cinématographique voire dans une partition tout court. Quatre pianos, quatre harpes, une trentaine de cuivres, un ensemble à corde traditionnel, un vibraphone, un orgue à tuyaux, voilà pour la formation instrumentale de base, une formation rehaussée par des instruments colorant l’orchestre de timbres tout à fait nouveaux et cadrant avec le caractère science-fictionnel du film : un violon et une basse électrique, instruments tout juste inventés, et surtout deux theremins, un ténor et un alto, employés en tant qu’instruments solistes. La première séquence du film, le survol de Washington, constitue un véritable hommage à La Guerre des mondes d’Orson Welles dont Robert Wise était le monteur, notamment par l’annonce à la radio et dans toutes les langues de l’arrivée de la soucoupe accompagné d’un effet sonore incomparable. Cette scène, suivie de l’atterrissage de la soucoupe volante, révèle d’emblée toute l’importance du son dans le film. Une trame sonore très riche, granuleuse en même temps que soufflée s’y déploie, occupant à elle seule tout l’espace sonore. A l’écoute, cette trame pourrait être constituée d’une sorte de tremolo de sons soufflés puis transformés, parasités ensuite par un élément rugueux qui complète le bruit de la navette.
On a souvent décelé dans le personnage pacifique de Klaatu l’extra terrestre une allégorie de la vie de Jésus-Christ venu délivrer son message de paix aux hommes. Malgré son pacifisme, « l’être venu du ciel » est traqué puis mis à mort. Sa résurrection s’opère dans le vaisseau spatial avec l’aide de son robot et d’un imposant appareillage sophistiqué. La matière sonore inventée pour simuler le bruit de l’équipement est constituée de sons concrets (grésillements électriques en tous genres) et de sons électroniques (fréquence tenue dans l’aigu et des impulsions électroniques balayant le spectre sonore à des vitesses croissantes). Cet équipement a pour effet de ramener lentement Klaatu à la vie. Après deux accords propres à l’univers de Bernard Herrmann – une figure de seconde mineure descendante jouée aux cuivres pianissimo en tension / détente – la musique se livre à un trio peu banal comprenant un violon électrique solo et un duo de theremins, ces derniers occupant la fonction harmonique sous le chant principal du violon à l’étrange sonorité.
Voici un article de Philippe Langlois paru en 2005 dans la revue Colonne sonore
« Entre le désir et le spasme, entre la puissance et l’existence, entre l’essence et la chute, tombe l’ombre ». C’est autour de cette citation de T-S Eliot que se développe le film abstrait de Piotr Kamler baignant dans une couleur à dominance rouge tant au niveau des arrières plans qu’au niveau des formes qui traversent l’écran afin d’évoquer de façon abstraite la vie et la puissance d’une forme rouge, lointaine galaxie, sur laquelle des éléments extérieurs, envahisseurs, apportent l’ombre et la destruction. Film expérimental dont la diffusion à la télévision n’est pas mentionné dans le catalogue du Service de la Recherche et qui condense les travaux de recherche fondamentale audiovisuelle sur les notions d’objets visuels et sonores.
La musique de François Bayle, tout comme le film de Kamler, se déploie essentiellement à partir de trois éléments audiovisuels saillants : un arrière plan qui se développe tout au long du film qui se présente sous la forme d’une trame sonore ralentie obtenue, semble-t-il, à partir de tenues d’orgue mélangées avec des sons bruités pour accompagner la traversée des nuages de matières rouges, des sons percussifs en delta, joués à l’endroit à l’envers pour ponctuer l’apparition de formes moins nébuleuses à l’image, puis des sonorités qui rappellent l’amplitude et la dynamique du langage parlé improbable par le biais du filtrage pour figurer des fourmillements de matière et de formes qui dansent sur l’écran. Cette approche audiovisuelle n’est pas sans rappeler Lignes et points, autre expérience audiovisuelle majeure qui réunit de nouveau Piotr Kamler et François Bayle.
Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.
Impressions des Andes est un film d’animation expérimental abstrait composé d’images non figuratives qui défilent sur l’écran en puisant son inspiration dans les motifs et les signes graphiques de l’ancienne civilisation Incas.
Ce film inédit qui n’a probablement jamais été programmé à la télévision – aucune date de diffusion ne figure dans le Catalogue du Service de la Recherche – explore la technique visuelle du « film direct » inventé en Angleterre par le cinéaste néo-zélandais Len Lye au début des années 30, consistant a réaliser un film sans l’aide de la caméra, en peignant directement sur une pellicule de 16mm transparente, ou en grattant une pellicule noire sur laquelle différentes couleurs ont été préalablement peintes avec l’aide de toute sortes d’ustensiles, pinceaux, brosses, peignes, instruments chirurgicaux afin de créer des formes et des textures. Impressions des Andes semble alors directement rendre un hommage maître du « Direct Film » et aux deux films de Len Lye qui inaugurent ces techniques : Color Box (1935) et Free Radical (1936). A la rapidité des images de Vic Towas et à la vélocité des motifs qui parcourent l’écran, Edgardo Canton prend le parti d’une réponse musicale contrastée en composant une trame musicale richement bruitée qui évolue lentement tout au long du film.
Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.
Court film d’animation abstrait centré sur une figure géométrique unique : une forme rectangulaire plate et colorée, pouvant évoquer une feuille de papier, tantôt rouge, tantôt bleue, saisie dans un mouvement rotatif, tournoyant dans l’espace à différentes vitesses sur un fond noir. En se multipliant, cette figure crée un dialogue de formes, de couleurs et de mouvements en correspondance ou en rupture avec des sons circulaires en suivant un rythme à la fois plastique et musical, tel un subtil jeu d’équilibre entre les images minimalistes de Piotr KAMLER et la musique concrète de Bernard Parmegiani.
Davantage considéré par son auteur comme une étude, ce film d’animation signe la première collaboration entre le cinéaste d’origine polonaise Piotr KAMLER et le compositeur Bernard Parmegiani, jetant les bases d’une recherche audiovisuelle fondamentale caractéristique des débuts du Service de Recherche. Une recherche que Piotr KAMLER prolonge avec la plupart des compositeurs du GRM : François Bayle, Robert Cohen-Solal, Luc Ferrari, Ivo Malec, Beatriz Ferreyra, etc. et qui se poursuivra bien au-delà de la dissolution du Service, en 1975, notamment avec son long métrage Chronopolis en 1982.
Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.
Dans ce film, Jacques Brissot dématérialise les sculptures « cybernétiques » de Nicolas Schoeffer tout comme il dématérialise le nom de l’artiste cinétique, dans son titre, le citant à l’envers, un procédé concret pour traduire le geste cinématographique qui consiste à n’en prélever que le mouvement, en posant entre ces œuvres et la camera un écran translucide. Purgée de ses détails, l’image ainsi obtenue propose une vision de cette sculpture réduite à des jeux de lumières en mouvement. Un montage rapide des images a été organisé sur un extrait d’une pièce électroacoustique de Iannis Xenakis.
Fer chaud s’inscrit lui aussi dans la série des films où l’image a été montée sur une musique préexistante à partir de Diamorphose de Iannis Xenakis. Comme souvent dans les films du Service de la recherche, la synchronisation du son y est en quelque sorte déconnectée du montage image tout en ménageant des points de rencontre audiovisuels très saillants. Dans Fer chaud, le montage visuel cherche à amplifier le mouvement des formes et des lumières des sculptures en mouvement qui dansent sur l’écran. Offrant un grand contraste audiovisuel, les inflexions lentes de la musique de Xenakis se calent alors davantage sur la morphologie et l’amplitude de ces mouvements visuels internes que sur le rythme serré de l’image.
Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.
Ce court-métrage expérimental du réalisateur néerlandais Max de Haas évoque les moments de la vie d’un homme recréés par la magie du souvenir. Réalisé à partir de documents de provenances variées, ce film est composé de plusieurs tableaux : les étapes du jour et de la vie entre la joie et l’insouciance de la jeunesse, la cruauté du monde du travail, l’horreur de la guerre, l’issue finale mise en perspective avec la naissance d’un enfant, perpétuant ainsi le cycle de la vie. Cet assemblage de documents en provenance de diverses sources devient le prétexte pour Bernard Parmegiani d’imaginer une musique de collage dite « musique patchwork », une correspondance musicale adéquate composée donc de plusieurs sources : une composition propre, des extraits d’orgue de Barbarie de Roy DE WAARD et une musique de Michel Legrand.
Après une première collaboration avec le GRMC (Groupe de Recherches et de musique concrète) à l’occasion de son film Maskerage – premier film en 1950 à bénéficier d’une musique concrète signée Pierre Schaeffer, Max De Haas est de retour dans les studios de la musique concrète pour y réaliser la musique de Jours de mes années, aux côtés de Bernard Parmegiani. Avant même de débuter la composition de son étude de stage en 1961, Bernard Parmegiani se trouve donc déjà confronté à la création sonore pour l’image avec ce film de Max De haas. Une passion qui ne le quittera jamais avec plus de quatre-vingts musiques de films inscrites dans son catalogue.
Ce film a été primé au festival de Cannes en 1960 en recevant la Mention d’honneur.
Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.