UN GARCON PLEIN D’AVENIR de Peter Foldès (1965)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.


Film d’animation conçu et réalisé par Peter Foldès sur un scénario sombre qui peut être vu comme une métaphore de la cruauté humaine à travers la croissance d’un homme depuis sa naissance où déjà bébé, allaité par sa mère, il finit par la dévorer. Devenu adulte, il fait l’expérience de sa force, de la guerre et se livre à la destruction de tout ce qui est à sa portée. C’est la musique romantique de Schubert qui semble redonner à ce personnage ultra violent un visage humain et lui permettre de ressentir les sentiments du remord puis de l’amour. Cette accalmie n’est cependant que de courte durée et ses pulsions meurtrières reprennent vite le dessus à cause des provocations d’une femme impudique. Reprenant sa marche dévastatrice il finit par périr, écrasé par une force encore plus grande que lui.

Bien qu’appartenant au registre du dessin animé, le film n’en demeure pas pour autant destiné au jeune public.
Le parti pris de la piste sonore de Luc Périni est conçue comme une véritable musique à programme oscillant entre une bande sonore à la fois stylisée et illustrative représentant les aventures de ce personnage monstrueux en recourant, notamment, à toute une imagerie sonore directement prélevée dans des registres référentiels (boxe, cris, foule, bruits de guerre, extrait du premier mouvement de la symphonie n°8 de Franz Schubert).
La musique pendant le générique de début reprend des rythmes martiaux jouées avec une caisse claire à peine déformée ainsi que des trames d’une musique concrète stridentes et évolutives qui semblent figurer le danger et la cruauté grandissante de ce monstre sanguinaire

Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.

FAUTRIER L’ENRAGE de Philippe Baraduc (1964)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

S’appuyant sur un texte de Jean Paulhan, intitulé Fautrier l’enragé, Philippe Baraduc propose avec cet essai télévisuel un aperçu de l’œuvre et de la personnalité de Jean Fautrier, peintre de l' »Art informel ». Juxtaposant des toiles et des images d’éléments naturels ainsi qu’un entretien conduit par Jean Paulhan, Baraduc montre comment la peinture de Fautrier, plutôt qu’une représentation du concret est une tentative, à limite de l’abstraction, d’en suggérer la profondeur. L’art informel et abstrait y est paradoxalement rapproché de l’art figuratif dans le sens où, vu à travers un microscope, la réalité peut s’y confondre avec l’abstrait, où l’art informel serait un piège à prendre la réalité.

Soucieux d’illustrer les propos esthétiques tenus dans ce film où la réflexion porte avant tout sur les spécificités de l’œuvre de Jean Fautrier et sur le caractère abstrait de la réalité à l’œuvre dans ses tableaux, François Bayle choisit de n’emprunter que des sonorités instrumentales.
Les sons concrets sont donc délaissés à l’occasion de cette musique de film pour laisser la place aux instruments traditionnels. Pour autant, on peut davantage parler de matière instrumentale presque abstraite tant les articulations, les superpositions les modes de jeu rappellent l’empirisme de la composition concrète.
Avec cette tentative de transposition des techniques de composition concrètes vers la musique instrumentale, François Bayle s’inscrit dans la tendance qui anime les compositeurs du Groupe de Recherches Musicales comme Philippe Carson, Ivo Malec à la même époque.

Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.

LE TELESCRIPTEUR de René Blanchard (1964)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

Un téléscripteur est un appareil qui équipe les régies de télévision qui permet d’écrire des génériques, des textes, mélangés ou non avec d’autres images, destinés à apparaître sur l’écran de télévision avant d’être diffusée chez les téléspectateurs. Dans ce film, conçu comme véritable interlude à intercaler entre les programmes de télévision, un petit personnage représentant le téléscripteur peine à écrire sur l’écran « Dans quelques instants la suite de notre programme ». Le film est réalisé à partir d’une animation et d’un graphisme très simplifiés. Les gags sonores y ont autant d’importance que les gags visuels.

Ce film est révélateur des orientations du Service de la recherche qui cherche, dès 1964, à montrer qu’il se préoccupe tout autant de l’intégration à l’antenne de ses productions que de la recherche audiovisuelle fondamentale pure. Cette implication s’exprime jusque dans ce qui relève habituellement de l’habillage et de la direction de l’antenne. Des petites productions conçues comme de petits intermèdes entre les programmes s’emparent de cette thématique pour mieux tenter de la détourner.
La musique, de Bernard Parmegiani, mentionnée dans les notices de l’INA en tant que « musique originale œuvre télé » est construite sous la forme d’un collage horizontal, en cut up, de sons concrets, de bruit très identifiés, de courtes séquences vocales, organisées comme une véritable musique concrète à programme, constituant une forme de burlesque sonore, en synchronisation directe avec les péripéties d’un petit personnage qui tente, non sans mal, d’interrompre les programmes et qui s’impatiente ensuite, avec tout autant de difficultés et d’énervement réussir à les reprendre. La musique de Bernard Parmegiani tente elle aussi de s’émanciper des règles de la composition concrète, non sans une pointe d’autodérision transgressant toutes les règles propres au solfège des objets musicaux, mais où l’idée de gag sonore prend tout son sens.

Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.

PORTRAIT DUBUFFET de Gérard Patris (1964)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

C’est autour des toiles de Dubuffet, réunies sous l’appellation générique de Fleur de barbe, pendant leur exposition au musée des arts décoratifs, que Gérard Patris trouve l’idée formelle autour de laquelle il va organiser tout son autoportrait Dubuffet.
Fleur de Barbe c’est aussi le titre d’un poème écrit par le peintre lui-même, poème que Dubuffet va scander, chanter, crier, de sa voix rocailleuse sublime, en s’accompagnant lui même d’instruments de musique traditionnels : flûtes, percussions, appeaux, métaux, etc., créant une étrange cantillation dont les accents renvoient à des rites traditionnels anciens.
Des caméras dissimulées l’ont filmé, à son insu, pendant son travail en studio, puis alors qu’on lui montrait des séquences de l’émission Terre des Arts à laquelle il avait participé. Ses réactions ont été montées en alternance avec les passages projetés qui apparaissent sur l’écran d’un appareil de télévision – « Tout cela, dit-il, c’est du cinéma ! » – et vient démontrer par son contraire la valeur de témoignage de la caméra invisible – Le film ainsi réalisé dépasse la seule approche de l’œuvre en offrant plus qu’un portrait en creux, le visage le plus vrai de l’artiste et de l’homme, son autoportrait par un autre.
On ne peut pas à proprement parler d’une musique de film pour accompagner cet « essai télévisuel », dans la mesure où le film s’articule principalement autour des interventions poétiques de Dubuffet.
Dans le générique, le travail sonore est mentionné de la manière suivante « Eléments sonores Jean Dubuffet Luc Farrari ». Les interventions de Luc Ferrari sont relativement discrètes, jouant le rôle d’élément structurant en venant ponctuer les moments charnières du film, laissant la part belle aux sublimes actions poétiques de Dubuffet.

Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.

MUSICOLOGIE.ORG, de Jean Marc Warszawski (nov 2012)

Article de Jean Marc Warszawski sur le site Musicologie.org


Philippe Langlois

Les cloches d'Atlantis

Langlois Philippe, Les cloches d'Atlantis. Musique électroacoustique et cinéma. Archéologie et histoire d'un art sonore. « Répercussions », Éditions MF, Paris 2012 [504 p. ; ISBN 978-2-9157-9455-7 ; 26 €]
On s'en doute, on sait même que la question de la musique de cinéma est une importante question de musique. Pour Philippe Langlois, le cinéma est un creuset musical, le creuset de la musique électroacoustique. Il le montre dans une somme érudite, pensante, pédagogique.
S'ils furent muets, les premiers films, dès leur première image n'ont jamais été silencieux, ils étaient accompagnés, du piano au grand orchestre, et ont pu être des terrains d'apprentissage et d'expériences pour les compositeurs.
Mais les artisans de cet art technologique ont depuis le début été attirés par les nouvelles lutheries, comme le thérémine où les ondes Martenot, ils ont également cherché à donner du son aux images. D'où le titre du livre, faisant référence au film de Ian Hugo de 1951, pour lequel Bebe et Louis Barron ont réalisé la première musique uniquement composée de sons électroniques.
Les Cloches d'Atlantis est un usuel d'histoire obligatoire, qui passionne par ses analyses et réflexions sur les interractions entre images et sons, une recherche de relations organiques structurelles, dans les techniques même de production et d'enregistrement, au-delà de l'illustration décorative.
L'auteur, musicologue, est aussi un homme de terrain qui réalise des intallations sonores, pour le cinéma, le cinéma, la radion, où il a coordonné l'Atelier de création radiophonique de France Culture.
Ce livre est accompagné d'un site Internet, Les cloches d'Atlantis.
jmw
 

ARNULF RAINER, de Peter Kubelka (1957)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

L’artiste Hermann Nitsch a dit d’Arnulf Rainer que ce film représente au cinéma ce que Carré blanc sur fond blanc de Malevitch représente à la peinture. En effet, Arnulf Rainer représente très certainement l’un des aspects les plus radicaux du cinéma expérimental ; le film est « probablement le plus proche de l’essence du cinéma parce qu’il emploie les éléments qui constituent le cinéma dans leur forme la plus extrême et la plus pure ».  nous dit Dominique Noguez. Le film, d’une durée de six minutes trente, ne présente que les quatre figures audiovisuelles les plus simples : l’image noire, l’image blanche, le silence, le bruit blanc et leur expansion dans le temps. Le tout est évidemment ordonné selon une construction structurelle qui tente d’épuiser tous les rapports susceptibles d’unir ces éléments.

 

PACIFIC 231, de Jean Mitry (1949)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

 

Bien que nettement plus formelle et moins poétique que la version de Mikhail Tsekanusky, la version de Jean Mitry de Pacific 231 n'en est pas moins un modèle qui puise son inspiration dans le cinéma d'avant garde des années 20 tel un vobrant hommage au cinéaste Abel Gance auquel Mitry vouait une véritable admiration.

PACIFIC 231, de Mikhail Tsekanusky (1931)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

Une grande partie de la création musicale des années 20 porte le sceau de l’ère industrielle y compris chez les compositeurs qui se défendent d’appartenir d’une quelconque manière au mouvement futuriste. C’est le cas d’Arthur Honegger à travers l’œuvre Pacific 231 tirée du film de La roue (1923) d’Abel Gance. Dès 1913, Claude Debussy exprimait déjà la nécessité d’une nouvelle musique en déclarant : « Notre devoir n’est-il pas de trouver la formule symphonique qu’exige notre époque, celle qu’appellent les progrès, les audaces et les victoires modernes. Le siècle des aéroplanes a droit à sa musique ».

Le titre de ce poème symphonique, véritable musique à programme, provient de la célèbre locomotive à vapeur la Pacific 231. Cette pièce tente une représentation musicale d'un voyage à bord de cette célèbre machine et puise son inspiration dans les divers bruits de la locomotive à travers les instruments de l'orchestre symphonique: grincements de ferraille et fuites de vapeur rendus par les glissandi aux violons, lourdeur du train au démarrage et le mouvement des bielles est figuré par les cuivres dans le grave, la répétition de motifs mélodico rythmiques s'inspire du mouvement perpétuel de la machine… Les différentes allures du trains sont également  représentés par le tempo variable dans des séquences distinctes en se calquent sur le modèle de plans cinématographiques. Honegger simule l'aspect de rotation et l'accélération du train grâce à des valeurs rythmiques en diminution qui en décompose le mouvement : croches, triolets, doubles-croches,  puis la décélération du train sur un modèle opposé.

Outre la version cinématographique de jean Mitry en 1951, il existe une autre version, très méconnue, réalisé par le cinéaste russe Mikhail Tsekanuski en 1931 mise au jour grâce aux travaux de Valérie Pozner, chercheuse au CNRS, dans le fond de la cinémathèque de Krasnogorsk. c'est cette version qui est proposée ici, de manière totalement inédite.

MEDIAPART, 6 novembre 2012


Les cloches d'Atlantis, sous-titré Musique électroacoustique et cinéma et Archéologie et histoire d’un art sonore, fait partie de ces ouvrages rares et indispensables pour quiconque s'intéresse au son et plus encore à son rapport à l'image. Le livre de Philippe Langlois comble un vide que ceux de Michel Chion n'ont fait qu'effleurer d'une mainmise exagérée sur le sujet. L'écriture est claire, les exemples concrets, la quantité généreuse et les pistes multiples, même si j'ai noté ici et là quelques erreurs, approximations ou omissions malheureuses, mais quelle encyclopédie y échappe ? Ajoutez un site Internet avec plus d'une soixantaine d'extraits de films relatés dans ces 480 pages, quelques extraits sonores et vous pouvez compter sur cette somme comme sur Le traité des objets musicaux de Pierre Schaeffer, Acoustique et musique de Émile Leipp, Praxis du cinéma de Noël Burch, les écrits d'Edgard Varèse, Arnold Schönberg ou Jean Epstein, sans oublier le CD-Rom d'Olivier Koechlin sur La musique électroacoustique et quelques autres incontournables vers lesquels vous reviendrez tout au long de votre vie !

Un autre ouvrage reste néanmoins à écrire, car Philippe Langlois privilégie ici les faits plutôt que la recherche du sens, les réflexions théoriques se retrouvant atomisées au fil des pages. Les propriétés intrinsèques du son dans l'audiovisuel sont seulement esquissées dans le chapitre sur le cinéma d'auteur, en particulier avec les films de Tarkovski, Kobayashi ou Lynch, et dans son commentaire sur les travaux de Michel Fano sur la partition sonore. L'archéologie s'arrête où commence la pratique. Les cloches d'Atlantis sont une bonne base pour imaginer l'avenir en connaissance de cause, des fondations qu'il serait dommage de passer sous silence. Dans une première partie où il évoque d'abord longuement les futuristes italiens et russes l'auteur inventorie la nouvelle lutherie du XXe siècle quand déjà celle du nôtre la range au musée. La seconde s'intéresse aux dispositifs sonores au cinéma jusqu'en 1950 quand les suivantes abordent les musiques électroacoustiques au cinéma. Le court épilogue sur notre actualité ne peut que laisser sur sa fin, écrivez ce mot comme vous l'entendez, tant l'évolution des nouvelles technologies des vingt dernières années a bouleversé la pratique sans hélas faire progresser l'intelligence, à savoir l'utilisation du son dans sa complémentarité avec l'image, son pouvoir d'évocation et l'immense champ inexploré que sa syntaxe pourrait offrir aux amateurs de sens.

Jean-Jacques Birgé

http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-jacques-birge/061112/les-cloches-datlantis