PORTRAIT DUBUFFET de Gérard Patris (1964)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

C’est autour des toiles de Dubuffet, réunies sous l’appellation générique de Fleur de barbe, pendant leur exposition au musée des arts décoratifs, que Gérard Patris trouve l’idée formelle autour de laquelle il va organiser tout son autoportrait Dubuffet.
Fleur de Barbe c’est aussi le titre d’un poème écrit par le peintre lui-même, poème que Dubuffet va scander, chanter, crier, de sa voix rocailleuse sublime, en s’accompagnant lui même d’instruments de musique traditionnels : flûtes, percussions, appeaux, métaux, etc., créant une étrange cantillation dont les accents renvoient à des rites traditionnels anciens.
Des caméras dissimulées l’ont filmé, à son insu, pendant son travail en studio, puis alors qu’on lui montrait des séquences de l’émission Terre des Arts à laquelle il avait participé. Ses réactions ont été montées en alternance avec les passages projetés qui apparaissent sur l’écran d’un appareil de télévision – « Tout cela, dit-il, c’est du cinéma ! » – et vient démontrer par son contraire la valeur de témoignage de la caméra invisible – Le film ainsi réalisé dépasse la seule approche de l’œuvre en offrant plus qu’un portrait en creux, le visage le plus vrai de l’artiste et de l’homme, son autoportrait par un autre.
On ne peut pas à proprement parler d’une musique de film pour accompagner cet « essai télévisuel », dans la mesure où le film s’articule principalement autour des interventions poétiques de Dubuffet.
Dans le générique, le travail sonore est mentionné de la manière suivante « Eléments sonores Jean Dubuffet Luc Farrari ». Les interventions de Luc Ferrari sont relativement discrètes, jouant le rôle d’élément structurant en venant ponctuer les moments charnières du film, laissant la part belle aux sublimes actions poétiques de Dubuffet.

Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.

LE TERRITOIRE DES AUTRES de François Bel et Gerard Vienne (1970)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

Dans Le territoire des autres (1970) « délibérément conçu pour l’image et le son à l’exclusion des paroles », François Bel et Gérard Vienne ont tourné pendant six ans plus de quarante-cinq kilomètres d’images d’animaux à travers toute l’Europe. Ne possédant pas encore d’expérience en tant que réalisateurs, ils tournent les séquences sans plan ni idée préconçue. Michel Fano se propose de réaliser le montage de l’image sur une structure musicale « à la manière de la fugue dont s’est servi Eisenstein pour Octobre ». Pendant plus d’un an, il devient à la table de montage le réalisateur a posteriori du film.

« La création se fait au stade du ciseau et du scotch, sur la table par rapport à l’image et par rapport aux deux, trois ou quatre sons associés au phénomène sonore ».

    Michel Fano peut ainsi modifier le montage image de certaines scènes par rapport à la conception sonore qu’il s’en fait. C’est ainsi que progressivement, images et sons se sont adaptés, imbriqués les uns aux autres. Le film a alors pris la forme d’une symphonie en dix mouvements (la pollution, le camouflage, la survie, la reproduction, le cri des animaux, etc.), avec une ouverture et une coda. Les sons instrumentaux s’y intègrent aux sons naturels puis aux sons transformés jusqu’à créer le continuum sonore recherché.

Générique du début

Séquence de l'embryon

ASTROLOGIE, LE MIROIR DE LA VIE de Jean Grémillon (1952)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

Composée par Pierre Henry en étroite collaboration avec le réalisateur, la musique d’Astrologie constitue l’aboutissement des recherches musicales formelles de Jean Grémillon dans une volonté de fusionner bruits et musique. Cette approche cinématographique profondément musicale, déjà remarquée par Pierre Schaeffer en 1946, favorise la venue de Jean Grémillon dans les studios de la rue de l’Université. Il y a encore peu, l’analyse des relations audiovisuelles à l’œuvre dans Astrologie n’était pas envisageable compte tenu de l’état de conservation du film qui en interdisait le visionnage. Sa restauration, à l’occasion du cycle de film Les films du Service de la Recherche de l’ORTF que nous avons programmé au MAC/VAL en janvier 2006, a permis une remise en circuit du film en copie neuve.

EGYPTE Ô EGYPTE de Jacques Brissot (1958)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

Le troisième et dernier volet de cette trilogie documentaire sur l'Egypte et titre éponyme de l'ensemble, Egypte Ô Egypte  se présente comme un essai sur des textes funéraires extraits du Livre des morts des anciens Egyptiens de Grégoire Kolpatchy. Sans faire œuvre d’égyptologue, mais attiré par la cosmogonie égyptienne, Jacques Brissot s’est efforcé de donner un équivalent cinématographique du long voyage de l’âme dans le pays des morts, avec ses portiques qui sont autant d’étapes initiatiques. La caméra se promène dans les paysages et les temples de la vallée de Thèbes, au milieu des pyramides, des statues gigantesques, des perspectives de colonnades, des fresques et des hiéroglyphes. Les prises de vues directes alternent avec les filmages, image par image, qui rendent perceptible en accéléré le cheminement des ombres sur les pierres. Les plans se succèdent en fonction des rapports plastiques et géométriques qui tentent de retrouver le sens profond de la symbolique égyptienne. 

 
La bande-son du troisième film est uniquement constituée du texte dit par Roger Blin et de la musique de Ferrari dans un entrelacs savamment composé. Pour la première fois dans l’œuvre de Luc Ferrari, la musique mélange des sons instrumentaux (un petit orchestre de dix-sept musiciens) et des sons concrets, imbriqués dans une structure qui mêle également des sons ambigus à l’orée des deux univers, fruits des manipulations de l’un et de l’autre.

Comme les images de Jacques Brissot, la musique d'Egypte Ô Egypte est contemplative ; elle oriente ainsi l'auditeur vers une écoute très méditative et le transporte dans un univers d'une extrême lenteur. Les événements sonores y sont en effet très distants les uns des autres, reliés par des résonances étirées, comme pour rappeler cette époque lointaine où les temples furent édifiés et le temps qui les relie à notre propre contemplation, comme pour « capter la résonance des temps anciens ». A la lenteur du son, s'accorde par contraste, la rapidité des images illustrant la symbolique du dieu Amon Râ dans l'Egypte antique, réalisée grâce à un procédé de filmage original. Ainsi, l'image d'un temple filmée toutes les minutes pendant une journée entière, révèle à la projection la course quotidienne du soleil, en accéléré, glissant sur des éléments d'architecture pharaonique.

Avec un tel procédé, le rendu visuel permet de voir le ciel, les nuages et les ombres défiler et se mettre en mouvement le long des façades jusqu'à donner l'impression de ramper sur la pierre. Pris sous différents angles, « la moindre fissure, aspérité, le moindre petit angle deviennent vivants dans ces « machins » restés immobiles pendant quatre mille ans qui s'animent d'un seul coup au son de ces trames étirées ».

Sur le plan sonore, les mouvements de nuances, de différenciation de hauteur, d'allure du son, sont autant de composantes sonores qui se sont imposées à Luc Ferrari par le traitement de l'image. Outre l'aspect purement mécanique, il résulte de ce croisement des démarches techniques, un travail sur la matière visuelle et sonore qui traverse le temps, jusqu'à en révéler l'aspect « ardent ». En jouant de la sorte sur la résonance et l'inflexion temporelle, il se crée presque automatiquement un lien avec la mythologie du Livre des morts, faisant de ce film l'une des grandes réussites, encore méconnues aujourd'hui, qui conduit à la création du Service de la Recherche.

La démarche totalement expérimentale et intuitive de Luc Ferrari, liée à l'approche visuelle de Jacques Brissot, a permis de créer un film d'une puissante beauté récompensé par le prix de la Biennale de Paris en 1963.

Un extrait.

SONG OF CEYLON de Basil Wright et Harry Watt (1934)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, Musique électroacoustique et cinéma, Archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 2012.

Dans le documentaire britannique de Basil Wright intitulé Song of Ceylon (1934), il est possible de rencontrer plusieurs effets sonores très intéressants tant sur le plan technique que dialectique. Song of Ceylon est, au départ, une commande du Ceylon Tea Propaganda Board destiné à relancer le marché du thé en Grande Bretagne ; heureusement, Basil Wright a su pousser l’idée beaucoup plus loin que l’objectif initial.

Quand Basil Wright intitule la troisième partie de Song of Ceylon : Les voix du marché, il ne fait point référence à la ferveur vocale qui anime traditionnellement les marchés indiens. C’est en fait de commerce international dont il est question et plus particulièrement de communications entre les comptoirs indiens et les grossistes de la métropole. Les messages sont envoyés en morse par télégraphe et concernent les commandes de produits indiens passées par les Etats auprès de leurs différents comptoirs. Les voix s’enchevêtrent dans toutes les langues, français, anglais, allemand, mélangées avec les sons du télégraphe, le bip-bip du morse et les sonneries de téléphone formant une tour de Babel sonore. La vitesse du montage, la modernité de ces moyens de communication ainsi que la superposition des bruits et des voix sont autant de propositions pour l’oreille qui créent un contraste saisissant avec la vie tranquille des insulaires.

L’aspect religieux occupe une place très importante dans la vie des habitants de Ceylan. Quotidiennement, les prières du lever et du coucher du soleil, les rites d’offrande aux dieux et la pratique de la danse rituelle rythment la vie des insulaires. C’est ce thème qui domine dans la dernière partie de Song of Ceylon où un petit groupe de danseurs se livre aux danses sacrées du Kathakali, danse rituelle d’Inde du sud – dans le Kerala – qui, dans le film, conduit à un état extatique.
Basil Wright filme les danseurs en plaçant sa caméra au centre du cercle qu’ils forment. Les mouvements rapides de caméra en panoramique et en fondus enchaînés symbolisent la sensation de tournis qui envahit chacun des danseurs. Pour seconder cette action, un grondement sourd apparaît très doucement, avant de s’amplifier et de prendre le pas sur les rythmes et les chants du kathakali, pour finalement remplir tout l’espace sonore. Il s’agit là d’un travail effectué à partir d’un instrument éminemment sacré dans notre tradition occidentale : la cloche.

une vidéo intégrale de ce film est disponible sur le site américain Internet Archive

A LA POINTE DE LA PLUME de Norman McLaren (1950)

Le texte et l'extrait vidéo ci-après documentent l'ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d'Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d'un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

Le domaine le plus original dans lequel se sont exercées les recherches de Norman McLaren est sans nul doute celui de la synthèse optique, obtenue à l’aide de deux procédés différents, en « authentique musicien de la lumière » suivant l’expression d’Abel Gance : « parce que chez lui la sensation visuelle (lumière de l’image) devient sensation musicale (lumière du son) ».
Le premier procédé technique qu’il utilise est expliqué dans Pen Point Percussion – A la pointe de la plume – (1950), film didactique conçu rétrospectivement comme une introduction à Dots et Loops (1939-1940) permettant de jeter les bases de la « peinture sonore ».

TONENDE HANDSCHRIFT de Rudolf Pfenninger (1931)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

Tönende Handschrift peut être considéré comme un « film-manifeste ». Le titre, « écriture sonore manuscrite » introduit également par jeu de mots la notion de « manuscript sonore ». Ce court-métrage de treize minutes est un film fondateur en matière de sons synthétiques.
Constitué d’une première partie documentaire sur la science acoustique, Tönende Handschrift peut être classé parmi les films dits « scientifiques », ou « documentaires » comprenant dans le premier tiers un véritable cours didactique de physique acoustique, enrichi d’un grand nombre d’exemples sonores synthétiques. Le commentaire explique et illustre de manière simple les principes de base de la physique acoustique : la célérité d’une onde dans l’air et dans l’eau, la propagation des fréquences hertziennes, le mécanisme d’enregistrement et de lecture du gramophone, la fréquence sonore, la forme d’onde… La deuxième partie du film se tient dans l’atelier de Rudolf Pfenninger et repose sur un entretien réalisé par le journaliste Helmuth Renar. Enfin, la dernière partie donne à voir et à entendre une application des principes énoncés dans l’entretien.

Le film présenté ici, en allemand, est totalement inédit

ORIENT OCCIDENT de Enrico Fulchignoni (1962)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

A l’occasion d’une exposition de sculpture organisée au musée Cernuschi en 1959 sur le thème des rapports entre l’orient et l’occident à travers cinquante siècles d’art, Enrico Fulchignoni tente de montrer comment, à travers l’art égyptien, l’art grec a été influencé par les arts étrusques et orientaux. Le commentaire de Pierre Henry dit par Pierre Chambon et les maniements de camera soulignent les ressemblances qui existent entre les diverses statuettes sculptées, au niveau des profils, des sourires, des attitudes. La musique originale de Iannis Xenakis, douce, lente, lointaine, semble rendre hommage à ces civilisations disparues.

Orient Occident est une œuvre à part dans le corpus des pièces électroacoustiques de Xenakis contrastant avec les autres œuvres composées au GRM dans les années 50-60, Diamorphoses, Concret PH, Analogique B et Bohor.
Orient Occident travaille au niveau de l’objet sonore sur la base d’un instrumentarium principalement constitué de percussions métalliques. La musique fonctionnant par vague, tel un grand flux /reflux de matière sonore, et s’équilibre harmonieusement avec commentaire de Pierre Henry dit par Pierre Chambon qui s’intègre pour ne pas dire fusionne avec la musique de Xenakis. Les longues trames de son, ainsi que les bribes de matières sonores qui se développent sur les images de sculptures très anciennes semblent également nous convier à un voyage sonore vers des temps immémoriaux. La musique tente de matérialiser le passé à travers la mémoire des sons et l’imaginaire relié à l’emploi de la matière sonore brute : le bois, le métal.
En maître de la densité de la matière musicale Xenakis tente avec cette musique de pénétrer les couches de matières temporelles qui séparent et relient la culture occidentale aux civilisations anciennes.

Durée : 20′

Production : Unesco

Cette notice d’information a été coproduite avec l’INA/GRM pour la création de la fresque multimédia – Artsonores – L’aventure électroacoustique, dans la catégorie Films issus du Service de la Recherche de l’ORTF de 1950 à 1975.

LA MELODIE DU MONDE de Walter Ruttmann (1929)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

En 1929, dans son premier film sonore Melodie der Welt – La mélodie du monde – Walter Ruttmann exploite le bruit, pour son essence musicale, dans deux séquences qui montrent la volonté de traduire une certaine harmonie universelle décelable dès le générique, à la lecture de la note d’intention du réalisateur.

Le film est conçu comme un voyage autour du monde. Les premiers plans révèlent ainsi un port où des paquebots sont ancrés. La musique impressionniste de Wolfgang Zeller, privilégiant les familles d’instruments en bois et en cuivre, se déploie.
La première intégration du bruit dans le générique de début correspond à l’intervention du son de la corne de brume du paquebot qui annonce l’appareillage et le début du voyage. Ce son se substitue à la cadence conclusive des instruments. Techniquement, Ruttmann n’a fait que monter le son de la corne en remplacement de l’accord instrumental conclusif. Pour réaliser une telle opération, la musique de Zeller a probablement été commandée par Ruttmann, après le tournage et l’enregistrement, de manière à englober la note de la corne de brume dans la tonalité de la musique. Régulièrement, ce son de sirène réapparaît dans les premières minutes du film, venant curieusement se mêler aux mélodies de Zeller. Le compositeur se joue d’ailleurs de cette ambiguïté un peu plus loin dans le générique, en concevant certains modes de jeu au basson sur le modèle du son de la corne de brume, de sorte que l’on ne sait parfois plus s’il s’agit d’un son de corne ou d’un instrument de musique.

L’écoute de la courte séquence qui suit, (vers 2’20) juste avant le thème de l’accordéon, ne permet pas de déterminer la source sonore et le procédé technique employés. Callée précisément sur des images de ressac et épousant le déferlement des vagues, la texture sonore obtenue révèle une grande proximité avec le son de corne de brume, sans toutefois se présenter de manière naturelle. La mise en boucle passée à l’envers semble avoir été utilisée, presque indéfinissable, mystérieuse, dans la lente répétition de sept grondements identiques. Ruttmann a t-il essayé de boucler le son sur lui même ? A-t-il procédé à l’inversion du sens de lecture du son, ou bien a-t-il mélangé la corne avec des instruments ? La mauvaise qualité de la bande sonore rend difficile le décryptage de ce travail, mais celui-ci révèle certainement l’emploi d’un procédé qui assurément relève de la pratique électroacoustique primitive et qui étonnamment même, renvoie à un dérivé précurseur du « sillon fermé » de Pierre Schaeffer dès 1928.

La même intégration bruit / musique observée précédemment, se retrouve à la fin du générique (à 4’30’’). C’est une nouvelle fois le son de corne de brume qui conclut la cadence harmonique sur la note ré. Comme Dziga Vertov le fera l’année suivante dans les célèbres séquences d’Enthousiasme réalisées à partir de sons de sirènes, Walter Ruttmann fait appel à un son de sirène comme marqueur de forme et le considère comme un élément moteur dans la structure générale de son film.
 

Après le générique, se succèdent des tableaux qui décrivent les différents us et coutumes répandus sur la planète selon des catégories communes : traditions vestimentaires, danses, loisirs, ou encore nourriture, religions, etc.
Lorsque survient le tableau intitulé « le travail », la musique de Zeller cède la place à un montage sonore en correspondance directe avec ce qui est représenté à l’écran. Autrement dit, on voit ce que l’on entend, et ce qu’il est donné d’entendre rompt radicalement avec la musique d’accompagnement. Ce n’est plus l’image qui asservit le son mais le contraire. Il s’agit dans cette séquence de représenter la diversité des métiers : Ruttmann abandonne alors le domaine strictement instrumental pour employer des sources sonores naturelles. Construite sur un modèle rythmique, cette séquence ne comporte pas de mixage, les sons se succèdent en un fulgurant montage de bruits. La sonorité des marteaux, des enclumes, des scies manuelles et électriques, des machines ou des voix lançant des ordres en allemand, vient cadencer cette composition sonore. Ce collage bruitiste est évidemment le fruit d’un minutieux travail de composition sonore cherchant à dégager la valeur rythmique des sons/bruits. L’écoute de cette séquence rappelle immédiatement les montages du début de Wochenende dont certains sons seront récupérés deux ans plus tard. Ils sont déjà tout aussi habiles, aussi précis, leurs articulations sonores sont déjà tout aussi riches. En ce sens, la séquence du travail peut être considérée comme une complète prémonition de ce qu’il réalise deux ans plus tard dans Week-End.
 

NIGHT MAIL de Basil Wright & Harry Watt (1936)

Le texte et l’extrait vidéo ci-après documentent l’ouvrage de Philippe Langlois, Les cloches d’Atlantis, musique électroacoustique et cinéma archéologie et histoire d’un art sonore, éditions mf, Paris, 1er trimestre 2012.

En 1936, Basil Wright et Harry Watt réalisent le documentaire d’entreprise Night Mail à la demande de l’Office Général des Postes pour montrer le travail nécessaire à l’acheminement du courrier en Angleterre. Six millions de km parcourus et 500 millions de lettres distribuées chaque année, telle est la mission que doivent accomplir les trains postaux qui sillonnent le pays. Night Mail retrace donc le parcours d’un de ces trains qui relient Londres et Glasgow tous les jours hiver comme été.

Pour réaliser ce documentaire Basil Wright et Harry Watt ont constitué une équipe exceptionnelle : Le poète Wystan Hugh Auden pour écrire le commentaire, le compositeur Benjamin Britten pour écrire la musique.

Dès le générique, la musique plonge le spectateur dans l’univers d’une aventure merveilleuse grâce à l’emploi d’une section de cuivres, de violons frémissant et d’une petite fanfare qui se déploie sur deux notes. Rapidement ces deux notes s’accélèrent imitant le bruit des essieux du trains qui s’ébranle pour se transformer aux cordes en une courte mélodie très vive jouée en boucle.

C’est l’ensemble du film qui suit ce modèle d’accélération jusqu’à ce que le train arrive dans le nord de l’Ecosse, la dernière partie de son voyage. Dans cette séquence finale nous assistons à une tentative absolument réussie d’unir étroitement l’image, la musique et le commentaire poétique d’Auden. Chaque vers du poème reflète ce que l’on peut voir à l’image, la traversée des marais, les jets de vapeur blanche, les champs mécaniques et les fours des industries.

Lorsque la musique change de tonalité, l’image lui répond avec un nouveau paysage moins accidenté et un autre éclairage à l’approche de l’aube. Le montage et la diction du texte se fonde alors sur l’accélération de la musique, plan de bielles, d’essieux, d’aiguillage, rails et la bande sonore devient un véritable un clip et un rap avant l’heure, signé Benjamin Britten et Wistan Hugh Auden. Ce montage culmine avant l’arrêt du train en gare d’Aberdeen sur les derniers accents triomphant de la musique. Une oeuvre qui peut surprendre au regard de sa date de composition : 1936 !