MY NAME IS OONA, Gunvor Nelson (1969)

Par son intimité avec la nature, Oona évoque le monde des souvenirs, les réminiscences de l’enfance insouciante figurée par le jeu d’une fillette qui prend vie devant la caméra de Gunvor Nelson. Elle fait la rencontre et devient amie avec Steve Reich au San Francisco Mime Troup où, aux côtés de son mari, le cinéaste Robert Nelson, elle participe aux activités artistiques de cette troupe de théâtre contemporain en recherche de nouvelles formes. Dans ce cadre, dès 1964, Steve Reich participe à la réalisation de deux films de Robert Nelson The Plastic Haircut et Oh Dem Watermelons. Dans ce dernier film, il travaille à partir d’un chant sur le thème de la pastèque, un chant populaire qui peu à peu, se transforme en une musique répétitive surprenante pour accompagner les mésaventures d’une pastèque dans ce registre plutôt « humoristique » tout en augurant des polyphonies rythmiques vocales que Steve Reich développera dans les années 70.

Pour en revenir à My Name is Oona, Gunvor Nelson demande donc à Steve Reich, de composer une musique originale qu’il conçoit uniquement à partir d’enregistrement réels recomposés sur bande magnétique.

 

D’emblée, le film montre une relation audiovisuelle forte. Après le générique où l’on peut lire le titre, « My Name is Oona » sur un fond noir, le silence se prolonge sur les premières images en gros plan d’une fillette blonde qui se dandine. Elle s’adresse en silence à la caméra, c’est à ce moment que la bande son surgit, de manière décalée, pour donner à entendre l’enregistrement d’une fillette qui déclare avec entrain « My Name is Oona ».

Bien que la voix soit désynchronisée, le lien entre le titre, les premières images et la bande son, loin d’opérer une rupture audiovisuelle, ne fait, au contraire, que la renforcer.

A partir de cet enregistrement étalon, Steve Reich ne conserve finalement que le fragment « Oona ». Isolé, mis en boucle, répété ensuite de manière lancinante se transformant peu à peu du fait du déphasage qui se crée entre les deux magnétophones sur lesquels sont lus en même temps ce même fragment.
Cette manière de débuter sa musique n’est pas sans faire directement référence à ses expérimentations sonores à cette même époque, notamment en ce qui concerne l’emploi de la boucle, puis le déphasage de ces boucles, à l’instar des œuvres composées sur le même principe : It’ Gonna Rain (1965) et Come Out (1966).  

Le choix de ces éléments sonore fait écho avec le thème même du film, le souvenir. L’enregistrement fixe l’instant, avant le temps de la réécoute le transforme en souvenir, une réminiscence sonore.
Pour accompagner ces images de souvenirs resurgis, la voix d’une fillette est donc enregistrée, avec la patine particulière du son optique. Peut-être s’agit-il de la voix de l’enfant qui apparaît à l’écran ? peut-être est-ce la voix de Oona, probablement. Qui est Oona ? Le film ne le dit pas. « C’est un souvenir d’un autre temps » dirait Chris Marker… nous ne saurons pas.

Les images offrent un contraste saisissant avec les boucles de la musique où Nelson travaille davantage au niveau de la superposition plutôt que de la répétition. Au début donc, une fillette en gros plan, puis des branches, des feuilles qui ondoient au soleil dans le vent puis, de nouveau, le visage d’une autre jeune fille.

La deuxième partie apparaît avec un nouveau son documentaire, brut, où la voix de la petite fille, encouragée par sa famille, on suppose, annone les jours de la semaine en anglais. Suivent d’autres enregistrements de cette même enfant où elle décline sur tous les tons « My Name is Oona ». Reich procède alors à lente accumulation et une superposition de cette nouvelle manière jusqu’à lentement créer une gigantesque polyphonie réverbérante qui s’intensifie avant de disparaître pour céder délicatement la place au chant d’une berceuse chantée par la voix aimante d’une maman qui fredonne pour son enfant.

Un film fascinant ! 

 

My Name is Oona n’est pas une œuvre isolée sur le plan esthétique, on retrouve des principes de composition audiovisuels similaires pour d’autres films expérimentaux de la même période :  Berlin Horse (1970) de Malcom LeGrice sur une musique de Brian Eno ou T O U C H I N G de Paul Sharits où se répète inlassablement le mot « destroy ».

PENDULUM MUSIC, Steve Reich (1968)

 

Pendulum Music est une pièce conçue pour 2, 3, 4 ou X microphones, amplificateurs, enceintes et exécutants.

Au milieu des années 60, a New York, les travaux d’artistes conceptuels tels que Sol Lewitt, Richard Serra,  Bruce Nauman et Michael Snow sont plus ou moins associés au courant du minimal art. Steve Reich représente, en quelque sorte, la figure musicale au sein de ce mouvement. Il expérimente alors à partir de l’agencement de dispositifs sonores électroacoustiques. A mi chemin entre l’installation sonore et la pièce musicale, Pendulum Music se situe donc dans la poursuite des travaux de Reich sur le déphasage de boucles de bande magnétique sur magnétophones comme, par exemple, dans Come Out (1966) ou It’s Gonna Rain (1967)

Pendulum Music fut présentée pour la première fois en 1969, lors d’une session d’été à l’Université du Colorado, intégré à un spectacle multimédia intitulé Over evident Falls en collaboration avec l’artiste peintre Bill Wiley. L’événement est relaté par Steve Reich comme « un Happening pensé à la va vite » dans une mise en scène où les spectateurs, assistent à l’événement au milieu d’une pluie de faux flocons de neige éclairée par des tubes de néon de lumière noire.
Une photo de la performance du 2 mai 1969 au Whitney Museum of American Art de New York, montre les artistes Richard Serra, James Tenney, Bruce Nauman et Michael Snow prêt à donner la première impulsion au  balancement des microphones.

Le principe sonore de la pièce est simple et repose sur le mouvement de balancement imprimé à des microphones suspendus au dessus d’enceintes provoquant un effet périodique de larsen.

Dans un lent processus de ralentissement, l’amplitude du balancement diminue, des effets de déphasage se produisent entre les différents microphones. La forme de la pièce se fond alors dans le lent processus qui est fonction de la durée des balancements des microphones jusqu’à la stabilisation au dessus des enceintes créant alors des effets de larsens continus. A la périodicité et au rythme du début de la pièce se substitue peu à peu des fréquences modulantes déplaçant l’écoute non plus sur le rythme mais sur le paramètre de la hauteur.

L’écoute se porte également sur le phénomène acoustique et les variations de plus en plus infimes de la structure du larsen lorsque les microphones oscillent lentement, proches de l’immobilisation. Pendulum Music s’inscrit aussi pleinement dans l’idée d’une œuvre poly-sensorielle se donnant autant à voir qu’à entendre, permettant à l’œil de percevoir les micro modulations de la matière sonore par le biais du mouvement de balancement des microphones.

La « partition » de l’œuvre, qui est en réalité un simple texte manuscrit de Reich, a été écrite en août 1968, et révisée en mai 1973 par le compositeur. Elle indique que les exécutants après avoir impulsé le premier mouvement au balancement des microphones doivent rejoindre l’assistance pour assister à son déroulement.

Voici deux versions de la pièce.

Reconstitution de la mythique pièce de Steve Reich à l’école des beaux Arts du Mans, le 21 novembre 2014 dans le cadre de mon cours : Histoire et théorie du sonore..
Interprètes : Pierre-Marie Blind, Léo Urriolabeitia, Koré Préaud, Tanguy Clerc, Arthur Chambry, Rémy Hertrich.

GUITAR DRAG, Christian Marclay (1999)

Le 18 novembre 1999, Christian Marclay réalise Guitar Drag un film de 14′ qui documente une performance qu’il a mené à San Antonio dans le désert du Texas mettant en scène une guitare tiré au bout d’un corde par un pick up équipé d’un puissant ampli déposé dans le coffre à l’arrière du véhicule.

« Guitar Drag possède de nombreuses couches de références, il fait allusion au rituel qui consiste à briser les guitares électriques dans les concerts de rock, il rappelle Fluxus et ses nombreuses destructions d’instruments. C’est aussi un road movie, faisant référence au paysage du Texas où il a été tourné, avec des références aux cow-boys et aux rodéos. Il s’agit de la violence en général et plus particulièrement du lynchage de James Byrd Jr. qui a été traîné jusqu’à la mort derrière un “pickup-truck“. Je souhaite que la vidéo comporte ces multiples couches et déclenche l’imagination des gens dans des directions contradictoires. La pièce finit par être à la fois séduisante et répugnante.

* « Guitar Drag has many different layers of references, it alludes to the ritual of smashing guitars in rock concerts, it recalls Fluxus and its many destruction of instruments. It is also a road movie, with reference to the landscape of Texas where it was filmed, with references to cowboys and rodeos. It is about violence in general and more specifically about the lynching of James Byrd Jr. who was dragged to his death behind a pickup-truck. I want the video to have these multiple layers and trigger people’s imagination in contradictory ways. The piece ends up being seductive and repulsive at the same time ».

Christian Marclay, 2001, livret de l’édition vinyl par le label suédois Neon Records en 1500 exemplaires publiée en 2006.

BOX WITH THE SOUND OF IT’S OWN MAKING, Robert Morris (1961)

Bois (24.8 x 24.8 x 24.8cm), haut parleur, durée 3h1/2.

Né en 1931, Robert Morris est considéré avec Donald Judd comme l'un des principaux théoriciens du minimalisme. Proche des compositeurs La Monte Young et John Cage, sa pièce Box with the Sound of its Own Making est à la fois un hommage au Ready Made de Marcel Duchamp tout en contribuant à développer l'idée d'une sculpture minimaliste dans le sillage du Process Art, rejetant toute approche romantique dans le processus de création artistique.
Robert Morris réalise cette œuvre en janvier 1961 à New York. La boîte est constituée de six pièces de bois reliées entre-elles pour former un cube parfait de 28 cm de côté.
Pendant les trois heures et demi que durent la construction de la boîte, Robert Morris procède à un enregistrement audio où sont prélevés l'intégralité des bruits de la construction : découpage à la scie, marteau, ponçage, déplacements de l'artiste dans son atelier, etc.
Dans son principe d'exposition, la boîte donne donc à entendre les sons de sa fabrication au spectateur grâce à un petit haut parleur situé à l'intérieur de la boîte qui permet de réactiver la création de l'œuvre en temps réel.
Dans le cercle artistique de Morris, la boîte est également perçue comme une forme de performance musicale. John Cage, visitant l'atelier de Morris considéra l'œuvre comme un concert privé, s'installant face à elle pour écouter l'intégralité de l'enregistrement.
Echappant à tout idée de classification artistique, Box with the Sound of its Own Making met en lumière les relations qui peuvent unir sculpture et musique, perception visuelle et acoustique, objet et processus créatif.

L'enregistrement ci-après est une simulation reconstitution réalisée par Kate Blacker.

BEGONE DULL CARE, Norman Mc Laren (1949)

Dans sa quête de voir ce que l'on entend et entendre ce que l'on voit, Norman Mc Laren réalise Begone dull Care en 1949, un des plus beaux exemples de musique visuelle façonné à même la matière/pellicule selon les techniques du "Direct Film", par ajout de peinture sur de la pellicule transparente, par grattage de couches de couleurs successives sur la pellicule. Ce film expose de la manière la plus virtuose qui soit la complémentarité audiovisuelle et constitue l'un des films les plus incroyable dans le domaine de la musique visuelle.

GERMINATION, de Jean-Luc Hervé, (2013), Images d’une œuvre #16

Ce film s’inscrit dans la série documentaire « Image d’une oeuvre » produite par l’Ircam qui vise à documenter aujourd’hui, tout le déroulement du processus créatif d’un compositeur ou d’une compositrice confronté à l’utilisation de la technologie pour prolonger les enjeux artistiques et expressifs de son projet musical.

Film de Christian Bahier et Philippe Langlois

Germination est un concert-installation, performance qui enchaîne une installation sonore a une pièce de concert. L’œuvre à pour modèle le développement végétal de la graine en sous-sol à la plante en surface.

(2013) f, de Natacha Nisic

Vidéo, couleur, sonore, 18 min.

f, comme Fukushima (2013). Deux ans après la catastrophe, Natacha Nisic se rend à Fukushima et observe les paysages, les villages et les habitants qui ont subi les ravages du tsunami et des radiations de la centrale. Grâce à un dispositif composé d’un travellig de 25 mètres et de miroirs verticaux de 30 centimètres de large disposés à différents intervalles, l’artiste permet au spectateur de voir en même temps le champ et le contre-champ, l’avant et l’après. Lorsque la caméra passe devant un miroir, une image mobile du contre-champ se déplace en travelling horizontal dans la direction opposée sur la largeur du miroir. Cela constitue, sans trucage, le jeu d’une image dans une autre, d’un mouvement dans un autre, d’un paysage et de son contraire. Le dispositif permet de conjuguer le temps des déplacements et des espaces en un seul regard.

L’ANGE, de Patrick Bokanowski (1984)

La mise en scène de gestes anodins et primordiaux de la vie est présente dans les trois premiers films de Patrick Bokanowski, La femme qui se poudre (1972), Le déjeuner du matin (1979) et trouve son accomplissement dans L’ange (1984), accompagnés de cette obsession répétitive qui caractérise également la musique de Michèle Bokanowski. Avec des frottements de tôle répétés, joués à l’archet et transformés dans La femme qui se poudre, des fragments de quatuor à corde retravaillé et mis en boucle dans L’ange, Michèle Bokanowski s’accorde à prolonger véritablement la structure intrinsèque de l’image. A tous les niveaux, la transformation est érigée en principe fondateur. Avec le couple Bokanowski, le cinéma devient l’art de fabriquer un monde de l’imaginaire entièrement subjectif.
Michèle Bokanowski établit son vocabulaire sur la même base que les images : éléments concrets retravaillés (objets sonores ou instruments), mise en boucle, déphasage et multiplication créant une tension et à un paroxysme avant d’entrer dans une nouvelle séquence.
Si Patrick Bokanowski se passionne pour les gestes du quotidien, c’est plutôt ce qui se passe à l’intérieur des personnages, pendant qu’ils font ces gestes, qui motive Michèle Bokanowski. Elle parvient, ainsi, à matérialiser l’impossible état de tension auquel les personnages sont soumis, prisonniers de leurs gestes et de l’univers étouffant qui les environne.
Le plus souvent, la musique crée une distance avec l’image sauf à certains moments, où des synchronismes très marqués apparaissent furtivement, comme quelque chose qui tombe brutalement sur l’image et à laquelle on ne s’attend pas, créant une surprise totale renforçant cette temporalité déviée qui n’appartient qu’à l’instant.

INTONARUMORI & L’ART DES BRUITS, de Luigi Russolo (11 mars 1913)

Le Bruitisme a cent ans…

Le terme "intonarumori" provient de la contraction des mots italiens intonare (chanter) et rumori (bruits) qui désigne la possibilité de faire chanter ou d'entonner les bruits.

La révolution du mouvement futuriste dans le domaine musical émane du Bruitisme du peintre Luigi Russolo, décrit dans son ouvrage l’Art des bruits qui vient compléter, de façon éloquente, les idées futuristes dans le domaine du timbre. C’est prétendument au cours de la soirée futuriste du 9 mars 1913, au théatro Costanzi de Rome, que Luigi Russolo, à l’audition de la symphonie de Pratella L’hymne à la vie, eut une « intuition révolutionnaire », « le Bruitisme » : étendre le champ du timbre à l’utilisation du bruit dans une perspective musicale. Nous savons aujourd’hui que cette idée était en réalité antérieure au concert du 9 mars, et qu’elle fut présentée comme telle pour ménager la susceptibilité  de Pratella, désigné comme le compositeur futuriste officiel. C’est ainsi que Russolo écrivait deux jours plus tard, le 11 mars 1913 une « lettre manifeste » élogieuse à l’attention de Pratella dans laquelle on peut lire :

« (…) Chaque bruit a un ton, parfois aussi un accord qui domine sur l’ensemble de ses vibrations irrégulières. L’existence de ce ton prédominant nous donne la possibilité pratique d’entonner les bruits, c’est-à-dire de donner à un bruit une certaine variété de ton sans perdre sa caractéristique, je veux dire le timbre qui le distingue. Certains bruits obtenus par le mouvement rotatoire peuvent nous offrir une gamme entière ascendante ou descendante soit qu’on augmente, soit qu’on diminue la vitesse du mouvement. (…)»

(Russolo, l'art des bruits, 11 mars 1913)

Voici cinq exemples d'instruments bruiteurs de Luigi Russolo, dans l'ordre : Crepitatore, Ullulatore, Gracidatore, Gorgogliatore, Ronzatore.

Intonarumari de Luigi Russolo

Quelques exemples de musiques qui intègrent les bruiteurs de Rossolo au sein d'une formation instrumentale :

– Corale (1921) de Antonio Russolo, frère de Luigi à partir d'un enregistrement original de 1921.

L’aviatore dro opus 33 (1913-14), opéra de Francesco Ballila Pratella pour soprano et piano où l’utilisation des instruments bruiteurs de Russolo est intégrée au sein d’une écriture musicale classique.